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TROIS PARMI LES AUTRES

— On le visite, le château ?

— Non, il est habité. Il n’a rien de bien extraordinaire, à part de vieilles toiles peintes qui représentent des épisodes de Don Quichotte.

— Tu y es allée ? Tu connais les propriétaires ? Ils sont jeunes, vieux ?

— Je les ai connus autrefois. C’était un banquier de Dijon qui avait racheté ce château à une Mlle de Ludres. Depuis, ça a pu changer…

Annonciade, qui a senti un peu de lassitude dans la voix de son amie, entraîne Suzon.

— Viens donc, nous allons défaire les valises.

— Bonne idée, approuve la petite en s’en allant. Antoinette ne sera pas fâchée qu’on la laisse seule dans ses domaines. N’est-ce pas, Toine ?

Antoinette, absorbée, ne répond pas. Suzon s’en va, rêvant au biais qu’il lui faudra prendre pour la questionner sur les propriétaires du voisinage.

Antoinette, à pas lents, remonte vers le potager. Voici qu’elle se retrouve seule, à cette heure du soir où toutes deux chaussaient des sabots, pour marcher dans la terre molle… « Allons voir, disait la voix chère, où en sont mes cardons, mes laitues, ma gotte lente à monter… »

Ensemble elles s’en allaient, la jeune femme et la petite fille, en se tenant par le bras. Ensemble, elles se penchaient sur la citerne, où les araignées d’eau patinaient au milieu des feuilles tombées, pour évaluer les ressources de l’arrosage. Le long des planches touffues de carottes et de pois, elles parcouraient les terrasses du potager en gradins. Garrottin bêchait la terre. Le baume noir du sol remué récoltait en s’élevant les parfums allègres des sucs végétaux. Elles le respiraient ensemble,