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TROIS PARMI LES AUTRES

bien dressé, bien rossé, qui suit humblement par derrière et disparaît au premier signe, pour ne pas gêner les plaisirs du maître.

« Ah ! encore un trait commun : leur optimisme. Il a réponse à tout, Bruno, et quelle assurance !

— Non, il n’y aura plus de guerres.

— Oui, l’âme est immortelle.

— Assurément, un homme peut n’aimer qu’une seule femme.

— Quand on aime, tout est beau. La bête ? Regarde mieux : c’est un ange.

« Dissipées, les inquiétudes, évanouies au son de la voix mâle, qui est la voix d’une ombre. Qui donc pourrait lutter contre Bruno ? Comment un homme de chair ne serait-il pas évincé par le maître du réel ?

« C’est ainsi qu’Antoinette, qui nourrit Bruno dans le repli le mieux caché de son âme, n’admet que les passions idéales. Antoinette cultive l’amitié fraternelle, paix du cœur, paix du monde. Antoinette promène dans la vie un visage de Minerve qui fait qu’on s’étonne et qu’on vient lui demander le secret de sa jeune sagesse. La sagesse d’Antoinette s’appelle Bruno. La sagesse d’Antoinette s’appelle folie.

« Prends garde, cependant. Les ombres sont capricieuses. Un jour viendra où Bruno ne répondra plus à ton appel. Ce jour-là, tu t’apercevras qu’une ombre ne laisse derrière elle aucun souvenir. Ce Bruno multiple qui si souvent t’a consolée, il ne sera plus rien. Et tu ne songeras même pas à lui accorder ce qu’on donne à ceux qui furent des êtres de chair : un regret…