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Histoire philosophique

Je me diſois, Eliza eſt jeune, & tu touches à ton dernier terme. C’eſt elle qui te fermera les yeux. Vaine eſpérance ! Ô renverſement de toutes les probabilités humaines ! ma vieilleſſe a ſurvécu à ſes beaux jours. Il n’y a plus perſonne au monde pour moi. Le deſtin m’a condamné à vivre & à mourir ſeul.

Eliza avoit l’eſprit cultivé : mais cet art, on ne le ſentoit jamais. Il n’avoit fait qu’embellir la nature ; il ne ſervoit en elle qu’à faire durer le charme. À chaque moment elle plaiſoit plus ; à chaque moment elle intéreſſoit davantage. C’eſt l’impreſſion qu’elle avoit faite aux Indes ; c’eſt l’impreſſion qu’elle faiſoit en Europe. Eliza étoit donc très-belle ? Non, elle n’étoit que belle : mais il n’y avoit point de beauté qu’elle n’effaçât, parce qu’elle étoit la ſeule comme elle.

Eliza a écrit ; & les hommes de ſa nation, qui ont mis le plus d’élégance & de goût dans leurs ouvrages, n’auroient pas déſavoué le petit nombre de pages qu’elle a laiſſées.

Lorſque je vis Eliza, j’éprouvai un ſentiment qui m’étoit inconnu. Il étoit trop vif pour n’être que de l’amitié ; il étoit trop pur pour être de l’amour. Si c’eût été une pas-