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Page:Raynaud - Ch. Baudelaire, 1922.djvu/16

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Une des causes de cette prévention persistante chez les détracteurs de bonne foi, c’est peut-être la peur des mots. Tant de gens cèdent à la suggestion des titres !

Ce titre seul que Baudelaire n’avait pas trouvé mais qu’il eut le tort d’accepter d’Hippolyte Babou, ce titre des Fleurs du Mal, est déjà pour induire en erreur. Il implique une délectation dans le mal absolument contraire à l’esprit du livre. Le vrai titre, c’est « Spleen et Idéal », puisque le thème exploité c’est l’antagonisme du Bien et du Mal ; la misère de l’homme, rachetée par son génie.

Paul Verlaine s’indignait qu’on ne pût s’inquiéter de Baudelaire auprès du commun des lecteurs sans essuyer cette réplique : « Baudelaire, attendez donc !… Ah! oui, celui qui a chanté la Charogne. »

La Charogne ! ce mot suffit pour les dispenser d’entendre le sens spirituel d’un poème qui n’est, pourtant, que la virulente paraphrase du pulvis es de l’Écriture.

Ils n’y veulent voir qu’une fantaisie macabre, comme ils s’obstinent à flairer je ne sais quel relent de sensualité égrillarde dans ces Femmes damnées d’un pathétique si déchirant et où gronde un écho des tempêtes de la Bible.

Le malentendu vient encore de ce que la foule n’aime, en art, que ce qui flatte son goût d’ariettes et de romances, et de la conception unique qu’elle se fait de la poésie : « Un coup d’aile dans le bleu. » Baudelaire n’est pas un confiseur. Il nous présente une éponge de fiel et, s’il connaît le chemin qui mène aux étoiles, c’est sur les pas de Dante qu’il s’égare aux enfers.

Comment la « populace des esprits frivoles » s’accommoderait-elle du poète de l’anxiété ?