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Page:Raynaud - Ch. Baudelaire, 1922.djvu/24

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resse et, loin de le trouver prolixe, j’aurais exigé le portrait du client, la description de sa maison et la physionomie des rues. J’aurais voulu connaître même l’heure du jour et le temps qu’il faisait. »

Je pense comme Gérard de Nerval. Si l’histoire d’un vulgaire inconnu, racontée en détail, suffit pour nous intéresser, combien plus intéressante encore celle d’un homme de la valeur de Baudelaire, qui a marqué plusieurs générations littéraires à son empreinte ? On a pu contester son génie, qui donc s’aviserait de vouloir contester son influence ? Ce n’est plus seulement ici la curiosité de l’érudit qui trouve à se satisfaire, mais celle du psychologue et du moraliste. On s’y éclaire des rapports du physique et du moral et de leurs répercussions mutuelles. Je veux, à l’imitation de l’avocat romain, suivre pas à pas Baudelaire, dans toutes les étapes de sa vie agitée. Tout est profit dans cette méthode, tant le moindre geste de ceux que nous considérons comme nos maîtres est riche de révélations. Il n’y a, entre ces échantillons d’une humanité supérieure et le commun des hommes, qu’une différence de degré, non de nature. Nous nous y observons comme à l’aide d’un verre grossissant.

Je prendrai donc Baudelaire à son berceau pour l’accompagner jusqu’à sa mort, en insistant surtout sur son âge tendre, parce que c’est à cet âge que se forment les idées et le caractère.

Lui-même a dit :

Tous ceux qui ont réfléchi sur leur propre vie, qui ont souvent porté leurs regards en arrière pour comparer leur passé avee leur présent, tout ceux qui ont pris l’habitude de psychologiser facilement sur eux-mêmes, savent quelle part immense l’adolescence tient dans le génie d’un homme. C’est alors que les couleurs sont voyantes et que les sens parlent une langue mystérieuse. Le caractère, le génie, le style d’un homme est formé par les circonstances en apparence vulgaires de sa première jeunesse. Si tous les hommes qui ont occupé la