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Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/137

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— Ils vont venir tous, le cardinal, Coccone, Guido, ils vont venir me jeter en prison !

Morosina me calma en m’assurant qu’avec un peu de prudence, je n’avais rien à craindre.

— Sortez toujours avec un fazzuolo, évitez les abords du palais, et nul ne découvrira votre retraite.

Le soir, nous eûmes à dîner galante compagnie, et l’obligation d’être aimable, les histoires joyeuses, les reparties de Cecca, les flatteries des convives me divertirent de ma peine. Seulement, il me fallut répondre aux compliments de mon voisin de table, et ce fut pour moi un atroce supplice. Un mot vif et un peu dur que je me permis de lui lancer me valut, de la part de Morosina, un de ces coups d’œil qui imposent l’obéissance. Je m’abandonnai donc, en essayant de sourire, aux caresses du galant, dégoûtée jusqu’à en vomir, haineuse jusqu’à désirer le tuer. Ah ! me disais-je en voyant briller dans les yeux de mon compagnon une joie qui me soulevait le cœur, se peut-il que ceux que l’on aime vous repoussent et qu’il faille subir la volonté d’un ennemi !

— Laissez-moi ! fis-je à l’amoureux après une première étreinte. Vous voyez quelle est ma fatigue.

Et je le chassai tout nu de ma chambre, l’envoyant s’habiller au dehors.

Je jetai les ducats qu’il m’avait mis dans la main et je pleurai sur mon corps souillé, mon corps qui me répugnait à présent comme quelque chose qui n’était plus à moi, une boue, un excrément attaché à ma personne.

Cecca, les pommettes roses et brûlantes des baisers qu’elle venait de recevoir, accourut à mes gémissements. Elle avait aussi congédié son ami, avec des sourires et des plaisanteries ; sans colère, sans tristesse. Elle essaya de me consoler.

— Va-t’en ! Va-t’en ! m’écriai-je, tu sens le mâle !