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Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/175

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Fasol avait les larmes aux yeux et il me semblait que j’étais ivre, tant j’étais émue. Un gentilhomme de ma connaissance me fit asseoir près de lui, tandis que les vivats continuaient et que l’enthousiasme du peuple gagnait les plus insensibles.

Cependant, aux sons clairs de trompettes, le Doge et Fasol se donnant la main descendaient les degrés de la tribune, jonchés de rameaux et de couronnes fleuries, et les nobles du cortège les suivirent dans un ordre majestueux, balayant de leur longue robe cramoisie l’escalier de feuillage. Mes yeux s’arrêtèrent alors sur un jeune homme qui s’avançait entre le légat et le Patriarche. Des dentelles fines et légères, le rubis qui mettait un œil de feu sur son béret noir, étaient les seules parures de son costume, comme s’il eût craint, par d’autres ornements, de dérober sa beauté. Mais, vêtu en pauvre ou en patricien, comment n’eût-il pas séduit toutes les femmes avec le charme impénétrable de ses yeux sombres et la merveilleuse volupté de sa bouche ? Le cou au dessin large et gras, les courbes fines de ses reins, de ses jambes, cette ligne fléchie et comme abandonnée de tout son corps appelaient la caresse. Attendrie par ses grâces langoureuses, j’étais conquise par son regard fixe, son nez droit de dominateur. Devant lui je rêvais à l’étrange plaisir d’être une grande sœur protectrice et avisée en même temps qu’une chienne docile, humble sous les coups. Et je sentais avec terreur s’approcher de moi l’impérieux, le cruel Amour !

Au moment où je rejoignais mon char, je dis à Marietta Vespa :

— Comme il est beau !

— Oui ! fit-elle, on aimerait à s’en passer le caprice.

— Sotte, répliquai-je furieuse, les femmes qui, à la