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Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/21

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Il approchait la fiasque de la petite lanterne et il la contemplait de ses yeux écarquillés, tandis qu’entr’ouverte de désir, sa bouche montrait des dents longues et jaunes.

Alors, dans un élan de reconnaissance, il s’écria :

— Dieu est bon qui a créé ce vin !

Malheureusement, ajouta-t-il, nous ne pouvons qu’y tremper les lèvres ; je tiens à le ménager, ne sachant si j’en aurai jamais d’autre… Ah ! tant pis ! buvons-le maintenant. Demain, nous serons peut-être tous les deux morts.

Il me considérait avec une soudaine tendresse :

— Comme je suis content de vous avoir rencontré. Notre solitude, à nous autres moines, est parfois si lourde !

Et, se penchant vers moi, il me glissa dans l’oreille cette confidence :

— J’ai volé cette fiasque a l’abbé Coccone qui a de bon vin, mais ne sait pas l’apprécier : c’est un imbécile. Ne le dites pas !

— Vous connaissez l’abbé Coccone ?

— Je vous crois ! C’est à lui que je dois d’être entré ici. Je ne l’en remercie pas.

— Ni moi non plus : l’abbé, je le vois bien, n’aura obligé que des ingrats.

Cependant le frère tirait dans la cellule tapis, couvertures, manteaux d’étoffe douillette, et commençait de préparer notre couche.

Brisé par les émotions de la soirée, je ne demandais qu’à m’étendre à côté de lui pour dormir, mais à peine me fus-je jeté sur ce lit improvisé qu’une horrible senteur de bouc, venant des habits du moine, m’incommoda si fort l’odorat que je fus près de me trouver mal. En même temps, le frère prenait avec moi, de toutes manières, d’étranges libertés. D’abord,