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Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/29

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— Bravo ! bravissimo ! mon cher frère, me dit-il en me prenant les mains. Le rire est une façon d’adorer le Seigneur, tandis que les larmes sont un hommage au Diable. Je vous suis reconnaissant de ne plus m’offrir de mauvais exemples. Voyez quel soleil brille sur le jardin. Il est prescrit d’être gai par un si beau jour. Tenez, ajouta-t-il, voilà du vin que m’a donné Madame Gritti. La gourde est si petite qu’on peut la dissimuler dans sa manche, où l’œil de Dieu ne la découvrirait pas. J’ai savouré tout à l’heure une goutte de l’élixir. Prenez-en vous-même et dites-moi s’il n’est pas digne de la table de Jupiter.

— C’est un nectar, m’écriai-je après avoir bu une gorgée.

Mais le vin était plus amer que du vinaigre.

Le frère cuisinier contemplait cette scène avec des yeux de chien auquel on vient d’enlever un os. À la fin, n’y tenant plus, il nous lança cette menace :

— Je vous dénoncerai au père supérieur, et vous verrez si vous buvez du vin, et un jour de quatre-temps encore !

— Liche-casse de fiente ! répondit Arrivabene, fourbisseur de vieille ! oiseau déplumé pour empester les juives ! Dénonce-nous ! je te conseille, et aussi vrai que le Paradis et Dieu le père existent, je te décharge ce bâton sur la tête, de manière à t’apprendre pour la vie ce que vaut le bras d’Arrivabene.

Le frère s’était courbé humblement sous l’injure. Il se glissa jusqu’à nous et leva des yeux suppliants.

— Je ne vous dénoncerai pas, mais laisse-moi seulement humecter mes lèvres de ce vin, Arrivabene ! Allons ! sois aimable, passe-moi ta gourde.

— Te passer ma gourde ! Tiens ! voilà ce que je te passerai.

Arrivabene tourne alors le dos au cuisinier, se