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Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/38

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Nichina répondit simplement :

— Je crains qu’on ne vous ait abusé, car ma vie n’a rien de merveilleux. Il y a seulement des larmes et du sang dans mon histoire, comme dans celle de toutes les amoureuses.

— Eh bien ! continuai-je, c’est l’histoire d’une amoureuse que nous serions heureux d’entendre plutôt que les contes insipides de ce moine.

La Nichina était à un âge où l’on aime fort à parler de soi ; elle ne voulait que se faire prier. Aussi, après s’être recueillie un instant, elle commença le récit de son existence.

Toutes les femmes s’étaient rapprochées pour l’entendre. Les anciennes ruffianes demeuraient le regard baissé, les bras croisés sur leur large poitrine, solennelles et imperturbables, en personnes qui ont passé l’époque des surprises, tandis que leurs jeunes filles, l’œil et la joue animés par le festin, le coude sur la table et la bouche ouverte, l’écoutaient ainsi qu’un sermon de carême et buvaient chacune de ses paroles comme une goutte de vin de Chypre. Seule, la vieille mère de Nichina, qui était sourde, s’était remise, dans son acharnement au travail, à raccommoder ses chemises à la lueur d’une résine qui brûlait en crépitant et attirait tous les moustiques du voisinage.

Je respirais avec délices l’haleine du jardin toute chargée d’arômes et passant sur les chevelures odorantes et les vins sucrés. Au-dessus des vastes ombrages envahis par les ténèbres, une bande orangée, des nuées de feu rappelaient seules la lumière. Déjà la douce nuit venait avec son cortège d’étoiles, et la lune, terne encore, apparaissait dans l’azur pâle et infini du ciel. Les femmes, craignant la fraîcheur, s’étaient couvert la tête d’un voile et enveloppé le corps d’un manteau, mais le voile ne cachait point les yeux, et le manteau,