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Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/442

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Nous nous perdîmes des heures dans l’ombre de nos cheveux mêlés et l’odeur de nos lèvres.

Quand nous nous relevâmes, le soir étendait ses grands voiles sur le jardin qui nous enveloppait de sa fleurance piquante et embaumée. Et nous regardâmes dans le ciel clair les nuages brillants de lumière.

— Vois, fit Guido, ils ont l’air immobiles : on dirait qu’ils sont arrêtés sur notre bonheur.

Mais soudain, devant la pièce d’eau toute rouge des flammes du~couchant, se dressa une ombre noire. Elle passa lentement.

— Le voilà ! Le voilà ! chuchotai-je à l’oreille de Guido avec un grand effroi.

Je venais d’apercevoir Fasol.

Nous nous enfuîmes à la hâte, mais, comme nous allions rentrer, je me retournai et je vis, derrière nous, Fasol qui pleurait.

— Nichina, demanda Guido, pourquoi cet homme est-il ici ?

— Oh ! mon chéri ! sois sûr que je ne tiens pas à le garder.

Cependant je voulais que Fasol restât encore, car Guido avait toujours besoin de lui. Il venait le matin dans notre chambre et, s’il trouvait mon ami souffrant, lui prescrivait de rester au lit ; mais nous n’observions pas très fidèlement les ordonnances ennuyeuses, tentés que nous étions de les attribuer à sa jalousie. Il ne cherchait même pas, comme aux premiers jours, à déguiser sa tristesse et ne prononçait pas un mot en dehors de la consultation. Après cette visite, nous ne le voyions plus qu’aux repas, et c’était trop encore. Nous avions tous les deux horreur de son silence, de sa pâleur, de ses yeux rouges de larmes, de son air sombre, de sa politesse glacée.