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Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/459

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promenions dans le jardin, quand Michele, absorbé par le système du monde qu’il voulait me décrire, avança une jambe vers l’étang qui borde ma propriété. Heureusement je le retins par la manche ; il eut un grand frisson.

— Cette fois, dis-je en souriant, vous ne nierez pas que vous n’ayez eu peur. Vous voyez bien que votre existence est précieuse !

Je vis Michele rougir.

— C’est l’instinct, reprit-il, qui a produit ce mouvement, et non pas la raison. D’ailleurs je tiens à la vie et je prétends que chacun doit y tenir, la défendre soi-même ou, ce qui est plus périlleux, la mettre sous la protection des lois. Je m’amuse seulement de voir qu’on la divinise et qu’on immole chaque jour, en son honneur, des hécatombes. Quand j’ai quitté Venise, on donnait la torture à trois beaux garçons qui avaient assassiné un homme de quatre-vingt-dix ans pour se partager ses trésors entre eux et leurs maîtresses. Sacrifier ces jeunes gens à ce vieux cadavre, n’était-ce pas un excès de déférence à l’égard des héritiers ?

— Ah ! m’écriai-je, je voudrais bien être, comme vous, sans scrupule ; je serais moins malheureuse.

Le séjour de Michele me réconforta ; je repris du courage et je commençai à renouer d’anciennes liaisons. Mais, comme Michele finissait par s’imaginer qu’il était le maître chez moi, et qu’il choquait mes hôtes par son langage, ses manières libres, je lui remplis sa bourse et le priai d’aller voir à Venise si mon souvenir était préférable à ma personne. Il comprenait toutes les nécessités de l’existence ; aussi, à son départ, me salua-t-il fort poliment.

— Je m’en vais écrire un poème pastoral, me dit-il en me quittant. On y verra des bergères qui se