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Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/475

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alors à me retirer chez une vieille tante dévote et malade qui ne sortait jamais de chez elle. Comme parent et comme moine, je ne pouvais manquer d’y être bien reçu. Je lui raconterais que le couvent avait brûlé et que je venais demeurer avec elle jusqu’à ce qu’il fût reconstruit. J’attendrais dans sa maison que Coccone vînt m’apporter un pardon ou un ordre d’exil.

Ma tante, ainsi que je le pensais, m’accueillit avec grand plaisir et je m’installai chez elle. J’occupais mes journées en lectures et en entretiens pieux que je faisais à la vieille dame, et, pour me distraire, j’écrivais cette histoire. Cependant je ne vivais point dans l’oisiveté. Comme ma tante avait toujours peur de mourir et qu’elle ne voulait pas s’en aller dans l’autre monde sans confession, elle me sonnait à chaque instant pour m’avouer, au tribunal de la Pénitence, qu’elle avait eu dans son lit un geste indécent, ou qu’elle s’était assise devant son dîner avec trop de plaisir.

Un jour que le soleil était venu me trouver dans ma chambre plus clair et plus joyeux que jamais, il me fut impossible de contenir mon impatience ; et, au risque de me voir jeter dans un cachot, je sortis et je m’en allai à la promenade. Je passais sur le Rialto, lorsque je vis venir à moi un maure, magnifiquement vêtu de chausses bouffantes et d’un manteau de soie tout neuf où, par malheur, s’étalaient de larges taches de graisse et de vin. Tout en regardant le visage du maure, je trouvais qu’il ressemblait beaucoup à Arrivabene, mais je ne voulais pas croire que le moine eût une parenté, même lointaine, avec cet infidèle. Il fallut pourtant bien le reconnaître quand il me frappa sur l’épaule. Il eut l’extrême courtoisie de prévenir mes questions :

— Que veux-tu ? mon frère, dit-il, je suis un