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Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/49

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qui éclairait le prédicateur s’éteignit. Toute la place fut plongée dans les ténèbres et la mêlée continua dans la nuit. Hissée sur les épaules de mon père, je mourais de peur et je sentais qu’il n’était pas plus rassuré que moi. Autour de nous on se battait et j’entendais le choc des corps, les vociférations, le cliquetis des armes. Nous étions portés à droite et à gauche, en avant et en arrière, sans réussir à percer la foule. Enfin, le combat se concentra dans une partie de la place opposée à celle où nous nous trouvions, et nous pûmes bientôt gagner les rues voisines. Comme nous sortions de la Place-aux-Herbes, une boue gluante me jaillit au visage, et un corps vint s’abattre contre nous, qui fit perdre à papa l’équilibre. Il s’étala par terre, m’entraînant avec lui dans sa chute ; mais, se relevant de suite, il me reprit sur ses épaules et, sans regarder si j’avais du mal, il profita de ce que les rues étaient désertes pour gagner à toutes jambes notre demeure.

Dès que nous y fûmes entrés et que nous eûmes éclairé le logis, mon père me considéra d’un air épouvanté, devint pâle, et, me saisissant dans ses bras :

— Ma petite fille chérie, ma Lucina, qu’as-tu ? que t’est-il arrivé ?

Je levai les yeux sur un miroir qui était en face de moi, et je vis avec frayeur que j’avais la figure couverte de sang ; mais mon père, étant allé à la fontaine voisine, trempa un linge dans l’eau, m’en essuya le visage et reconnut que je n’avais point de blessure : j’avais été seulement éclaboussée durant la bataille.

Papa fut si heureux qu’il pleura de joie et me couvrit de baisers. En cet instant, une femme qui se tenait au dehors et que je distinguais mal dans l’obscurité, se dressa devant la porte que nous avions