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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


m’avait recommandé Zinga, qu’elle m’avait presque forcée de prendre chez moi, me remplissait d’inquiétude. Connaissait-il « mon crime », ma destinée dépendait-elle de ces deux assassins ; Figeroux allait-il, un beau soir, et avec l’aide de Zinga, me tuer aussi, comme ils avaient tué Mme Lafon ? Certes, les conjectures du docteur n’avaient rien de chimérique. Et pourtant, au milieu de tant de craintes, une image, plus puissante que les autres, s’imposait à mon esprit. Je songeais à ma chère Antoinette. Je ne parvenais pas à éloigner de moi une scène d’horreur, d’une obscénité révoltante. Je voyais la délicieuse enfant se débattre au milieu de noirs fous de luxure ; je voyais sa peau délicate comme les fleurs, meurtrie, ensanglantée par ces mains de barbares. J’entendais ses cris de douleur et de honte. Était-il possible, comme le docteur le prétendait, qu’on se fût attaqué à tant de grâces, qu’un sauvage eût osé souiller une si charmante jeunesse ?

— Docteur, dis-je, qui vous fait croire qu’on a violenté ces malheureuses femmes ? Jamais Antoinette, aux rares fois où j’ai fait allusion à la mort de sa mère, n’a paru troublée comme aurait l’être une enfant, à la fois si franche et si timide, en se voyant contrainte de cacher une telle injure. Elle m’a toujours parlé de cette nuit horrible avec des larmes, mais sans honte ni embarras.

— Ah ! madame, dit le docteur, les jeunes filles les plus franches savent à merveille dissimuler les aventures qui les importunent. Je suis sûr que vous-même