sa douleur amoureuse pour prendre garde à ce qui se passait autour de lui.
Zinga sortit de la plantation et prit la route du Cap. Nous la suivîmes à quelque distance. Elle s’avançait d’un pas rapide et dégagé, en fredonnant toujours sa romance créole. Le ciel, la mer étincelaient ; au loin les monts avaient encore de grandes écharpes d’ombre, mais la route, presque partout découverte, brûlait ; un vent chaud, de temps à autre, soulevait des tourbillons.
Sur ce chemin morne les aspics étaient nos seules rencontres. Nous les apercevions, qui dormaient repliés au soleil. À notre approche ils s’allongeaient, et disparaissaient brusquement dans une palpitation de lumière.
Je regrettais déjà cette promenade d’espionnage ; le docteur s’essuyait le front ; mais Zinga, alerte, marchait du même pas et chantait toujours.
Lontan, lontan tout moun té nwê
San pa oun blang lasou la té
Tan-là sa pa té kou jodi ;
Souvan Bonguié koutmé vini
Pou palé ké sou moun ki bon,
Yè pa pé li okin’ fason,
Tout sa moun li téki palé
Li ét, guen kichoz pou bay-yé.
(Longtemps, longtemps tout le monde fut noir, sans un blanc dessus la terre. Temps-là n’était pas temps-ci.
Souvent Bon Dieu venait pour parler au monde qui était bon, et on n’avait peur de lui en aucune façon.
À tous les gens à qui il parlait, il avait quelque chose à donner.)