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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


avec une rage contenue, il se contente de dire : « Je n’avais pas besoin de vous ». Et il continue à prêcher d’une voix tour à tour grinçante et geignarde.

Vraiment il faut avoir, comme le docteur Chiron, cette manie de découvrir partout des choses extraordinaires, et de ne rien juger comme le commun des mortels, pour voir dans ce pantin un homme dangereux.

Loin d’avoir peur de lui, et d’ajouter foi aux médisances, nous avons tous pris un air de fête à son apparition. Mme Du Plantier s’est épanouie davantage ; Agathe a oublié les soufflets de sa mère ; l’abbé, qui somnolait un peu, s’est complètement réveillé, et Mme de Létang qui rêvait, a bien voulu abaisser sur Goring son regard voluptueux. Jusqu’à la petite négresse qu’on battait au loin, qui a cessé ses cris subitement, comme si elle en avait senti tout à coup l’inconvenance.

— Bonjour, mon révérend, bonjour, faisait-on à Goring qui ne desserrait pas les lèvres et n’eut même pas pour ces dames une inclination de tête.

L’abbé s’avança au-devant de Goring avec une politesse souriante :

— Mon cher rival en Jésus-Christ, commença-t-il…

Mais, voyant que le prédicateur semblait médiocrement touché de ses avances :

— Nous travaillons l’un et l’autre pour le ciel, ajouta-t-il, dans deux voies parallèles : je cherche à purifier les blancs…

— Et le révérend voudrait bien faire blanchir les noirs, ajouta le docteur en haussant les épaules, et