Page:Reclus - Étude sur les fleuves, 1859.djvu/31

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pite en ligne droite le long de la pente rapide formée par la jonction des deux anses, et l’eau qui reste encore dans l’ancien lit devient paresseuse et dormante, à cause du peu de pente que lui offre, relativement au nouveau passage, l’énorme développement du méandre. Les eaux rapides et bourbeuses du lit supérieur, en venant frapper contre les eaux tranquilles de l’ancien méandre, sont inopinément arrêtées ou même refoulées en arrière ; elles laissent tomber les débris terreux qu’elles tiennent en suspension et c’est ainsi qu’il se forme peu à peu des levées naturelles de sable et d’argile entre l’ancien et le nouveau lit du fleuve ; une levée semblable ne tarde pas à séparer également les deux lits de l’anse inférieure, de telle sorte que le méandre finit par n’avoir plus aucune communication avec le nouveau courant du fleuve, ses eaux deviennent stagnantes ; il est transformé en lac. Dans le bassin du Mississipi, du Marañon, du Gange, du Rhône, du Pô, le nombre de ces lacs circulaires est très considérable, et l’on peut suivre des yeux comme trois fleuves, dont l’un, actuel et vivant, roule ses eaux sans interruption de sa source à la mer, tandis que les deux autres, l’un à droite, l’autre à gauche, sont de véritables cadavres ; leurs vertèbres éparses le long du fleuve actuel indiquent encore la place où jadis ils déroulaient leurs anneaux.

De méandre en méandre le fleuve arrive enfin à son delta où il se divise en plusieurs bouches, et produit dans l’économie du globe des changements d’autant plus remarquables, que la masse de boue en suspension dans son eau est plus considérable. Charles Ritter a nommé fleuves travailleurs les cours d’eau qui dé-