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FRANCE.

La Durance ne se jeta point toujours dans le Rhône au voisinage d’Avignon ; il fut un temps où elle coulait au sud et non pas au nord des Alpines : alors ces toutes petites montagnes, dont le culmen, le mont des Aupies, n’a que 492 mètres, faisaient sans doute partie du Lubéron.

Les Alpines sont richement colorées par les rayons du midi. Au moyen âge, dans un de leurs rocs, tendre calcaire, on tailla des maisons sculptées un très grand château, une enceinte, toute une cité, les Baux, qui eurent 4 000 âmes. Effrité, rongé, menaçant, tout cela dure encore ; mais aucun homme n’habite la Pompéi provençale : l’ennemi ne l’a point détruite, le sol ne s’est pas cabré sous elle, nul volcan ne l’a saisie ; son peuple l’a quittée, le paysan des environs brise à son gré ce fantôme de ville, qui pourtant, tout entier, est « monument historique », et le temps, dans le vide et le silence en use les chambres de pierre.

Si petites qu’elles soient, Îles Alpines paraissent grandes, tellement tout est bas et plat autour de leurs calcaires pelés. Elles s’élèvent du sein de la Crau, plaine qui fut d’une stérilité mémorable.

La Crau était un plan de poudingues ou pierres cimentées d’origine marine quand le Rhône et la Durance y déposèrent, non des alluvions, mais des cailloux. On calcule que le Rhône apporta les six septièmes de ces galets, la Durance à peine un septième[1]. Ainsi cailloux sur cailloux, elle méritait bien son nom, crau, étant, paraît-il, un radical celtique ayant la signification de roche, de pierre. Et certes si les rocs lui manquent, sauf les parois vives de ces Alpines dont elle borne la première assise, les galets en font, ou plutôt en faisaient tout le sol avant l’arrivée des eaux noirâtres de la Durance. Ces pierres sans herbe, ou parfois avec des brins maigres, courts et rôtis, ce plancher raboteux avait

  1. Ou même un seizième seulement.