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GÉOGRAPHIE.

ments du Nord, de l’Aisne, des Ardennes et de Meurthe-et-Moselle.

Après les Belges, nous côtoyons le Luxembourg, où vivent des gens de langue allemande obéissant au roi de La Haye ; après les Luxembourgeois nous avons pour voisins les Prussiens, et ici le voisin c’est l’ennemi. Pendant longtemps, cette frontière nouvelle n’a rien de normal : ni morale, ni physique, elle ne suit guère la limite des langues, puisque le vainqueur a cru bon de planter les bornes de séparation dans un terroir d’idiome français ; elle traverse l’Orne de Woëvre, la Moselle, franchit ou longe la Seille, coupe le canal de la Marne au Rhin dans la haute vallée du Sanon, puis gagne la crête des Vosges vers les sources de la Vezouse ; alors elle devient frontière parfaite, à la fois toit des eaux et partage des langues ; et cela jusqu’aux lieux où, de l’arête vosgienne, la ligne descend dans la plaine de la Haute-Alsace ; là le Territoire de Belfort confronte à l’Alsace-Lorraine par un bornage artificiel qui ne respecte ni coteaux, ni rivières, ni langages. C’est ainsi qu’on arrive à toucher la Suisse.

La France et l’Helvétie s’ajustent par des lignes brisées, conventionnelles, coupant ou suivant sans raison les chaînes du Jura : sur ces chaînes, sur leurs plateaux froids, dans leurs gorges où l’eau de roche est bruyante et bleue, en France comme en Suisse on n’entend qu’une joyeuse langue, la nôtre. Du Jura, la frontière descend au Rhône, encore torrent, qu’elle traverse entre Genève et le défilé du Fort de l’Écluse, puis, entourant sinueusement le petit territoire de l’ancienne Rome des calvinistes, elle arrive au Léman, que nous partageons avec la Suisse.

Tout près de la grève où le Rhône jaunâtre entre au pas de course dans l’indigo du lac, notre limite gagne le Mont-Blanc par les crêtes qui séparent deux pays de parler français : à l’orient la vallée du Rhône supérieur, à l’occident la Savoie, qui nous appartient depuis l’an 1860, par attraction, par choix, par abandon spontané, tan-