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GÉOGRAPHIE.

le Germanique prononça devant les soldats de Charles le Chauve, à Strasbourg, un serment qui n’est plus du latin, qui est déjà du français. Et 850 ans avant le serment de Strasbourg, les vétérans, les ruraux, les citadins romains ou italiens qui colonisèrent la Gaule, parlaient un latin roturier où le français était en germe. C’est à partir de ce latin populaire et de son frère patricien, le latin des livres, que nous devons étudier dorénavant notre langue, siècle par siècle, de métamorphose en métamorphose, depuis les vieux chants religieux de Rome, la Loi des Douze Tables ou les Comédies de Plaute jusqu’à la Légende des Siècles.

Au xviie siècle, après le Parisien Villon, vrai poète ; après le Tourangeau Rabelais, comique inouï, écrivain merveilleux ; après le Gascon Montaigne, jaillit tout à coup une littérature aux formes magnifiques, avec des écrivains de grand génie. Nulle autre peut-être ne l’égalerait si ces hommes n’avaient tenu servilement leur pensée chez les Grecs, les Romains et les Juifs. Plût au ciel qu’ils eussent laissé la harpe de Sion aux saules de Babylone et la lyre classique aux branches du pâle olivier ! Molière et La Fontaine s’inspirèrent seuls des fabliaux, des joyeusetés, des vieilles rimes, et tous les autres méprisèrent nos antiques refrains, nos ballades, nos chansons de geste, nos « mystères ». Que n’ont-ils procédé du poète qui faillit pendre au gibet, « plus becqueté d’oiseaux que dés à coudre ? » Les cent beaux vers de l’escroc Villon, les seules Neiges d’antan, valent toute la lyre du xviie siècle, tragédies à part ; et ces tragédies mêmes, si grandes soient-elles, n’émeuvent que les délicats ; elles n’ont rien qui puisse fendre l’âme du peuple français, elles ne sortent point, par une poussée naturelle, du sol qui forma notre nation, qui la subit, qui la couvrira ; elles ne chantent pas l’Empereur à la barbe fleurie, les pairs et les preux, les chevaliers, les Croisés, les capitaines de la guerre de Cent Ans, les durs ferrailleurs, huguenots ou catholiques, de la plus rouge de toutes nos luttes. C’est Athalie au lieu de Jeanne