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FRANCE.

Pour tout dire, le français n’a point de racines dans la plus vaste des cinq parties du monde.

En Afrique, au contraire, il a des racines puissantes qui, chaque jour, s’enfoncent et s’étendent. C’est la langue maternelle ou la langue officielle des 400 000 colons de l’Algérie, qui ont l’espoir de peupler au loin ce continent : plus que l’espoir, la certitude. Des milliers nombreux d’Arabes et de Berbères du Tell algérien, des Tunisiens, des Marocains même s’entretiennent déjà couramment avec nous dans notre idiome ; et, certes, il y a telle tribu des trois provinces où le français est plus connu que dans les montagnes du Finistère ; les Béni-Mzab, hommes du Grand-Désert, le parlent presque tous, et beaucoup l’écrivent ; et plus loin que les Mozabites, il y a des Touatis, mieux encore, des Soudaniens qui ne l’ignorent pas. On le jargonne à la nègre au Sénégal, autour de nos forts. On le parle à Bourbon, terre française autour d’un volcan ; à Maurice, ancienne île de France devenue anglaise, et aux Seychelles, également britanniques, après avoir obéi longtemps aux Fleurs de lis.

En Amérique, dans le Dominion ou Puissances du Canada, treize à quatorze cent mille Canadiens et Acadiens, dont le nombre croît très vite, le défendent avec ardeur contre les gens de parole anglaise établis à côté d’eux dans le demi-continent septentrional que le « testament d’Adam » semblait d’abord nous avoir légué, quand débarqua dans une anse du grand fleuve Saint-Laurent l’homme qui fut le premier colon du Canada, Louis Hébert. La nation anglaise, fixée maintenant dans le Dominion, grandit de deux manières, par voie naturelle et par intussusception, car c’est à dizaines de milliers par an qu’elle absorbe des Européens. Les Français du Saint-Laurent n’ont qu’une seule façon de croître : les naissances, mais elle leur suffit tellement que, tout décimés qu’ils sont par l’émigration aux États-Unis, ils ne reculent point dans leur propre pays, le Bas-Canada, terroir grand comme la France et deux ou trois fois plus vaste avec