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GÉOGRAPHIE.

charmant Uruguay, un pays aussi beau, frais et sain que celui qu’ils abandonnent. Plus d’un regrette sa gentilhommière aux contrevents rouges, sa prairie, sa bruyère en fleurs, son bois de chêne et son torrent des Pyrénées quand il regarde Les plaines banales de l’Argentine, qui n’ont que la beauté du désert et sont près de la perdre ; devant ces horizons sans montagne, ces rios sans eau, ces lagunes sans ombre, il songe et se souvient.

Que de libres bergers de la Rhune et du mont Orhy sont devenus garçons égorgeurs dans les immenses boucheries de l’Amérique du Sud ! Avant longtemps il y aura plus de Basques à la Plata que dans l’Europe gasconne. Encore ne parlons-nous que des hommes de l’émigration contemporaine. Sans compter les Escualdunacs qui débarquent maintenant à pleins navires dans l’Argentine ou la Bande Orientale, les descendants de ceux qui cinglèrent vers le Nouveau Continent à partir de la conquête espagnole, et surtout depuis le commencement du dix-huitième siècle, formeraient à eux seuls un peuple basque égal à celui des Pyrénées. Mais à cette ancienne émigration les montagnards de la Soule, du Labourd et de la Navarre française n’eurent qu’une très petite part ; elle fut surtout composée de Biscayens et de Guipuzcoans ; et si elle a fait beaucoup pour la colonisation de l’Amérique, la gloire espagnole, l’essor du commerce, elle n’a guère laissé d’autre trace que ces longs noms de famille sur lesquels le castillan n’a pas de prise : au Chili, au Vénézuela, aux Antilles, au Mexique, tous ou presque tous les petits-fils de ces premiers immigrants basques ont oublié la langue de leurs ancêtres.

Les Basques acquièrent en se jouant le français, le béarnais, l’espagnol, tandis que, malgré sa beauté, sa régularité, sa saveur primitive et son harmonie sans cantilène, leur langage rebute ceux qui ne le tiennent pas du berceau, ou tout au moins de la première adolescence. Sans doute cet idiome extraordinairement riche en formes, et capable de créer des mots d’une longueur