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GÉOGRAPHIE.

sur la Terre. Toutefois, l’espoir nous reste : les continents ne sont pas pleins, l’émigration française, celle de France et celle du Canada, grandit à vue d’œil ; en se portant d’une part sur l’Afrique du Nord, d’autre part sur le Saint-Laurent, l’Outaouais, la Rivière Rouge, la Saskatchewan et la rivière de la Paix, elle peut nous faire encore une belle place au soleil.

Le grand exode français ne nous a pas donné de fils, il ne nous a fait que des ennemis. Quand Louis XIV révoqua l’Édit de Nantes, quatre cent mille protestants partirent : des paysans, des ouvriers, des industriels, des commerçants. Rien ne les arrêta, ni les dragons, ni la peur du bourreau, ni celle des galères. Nos cités les plus actives, nos meilleures usines et çà et là nos campagnes se dépeuplèrent.

Ce que nous perdîmes de nombre, de science, de sagesse et de vigueur, la Hollande, la Prusse, l’Angleterre, nos ennemis, nos envieux, le gagnèrent et s’en servirent contre nous. Les Huguenots montèrent sur les flottes qui nous disputaient l’Océan ; on en forma des régiments contre nous ; ils élevèrent des industries qui firent la splendeur de l’étranger, et c’est aux Calvinistes français que la Hollande dut l’essor de l’Afrique australe, de New-York et de Surinam.

Pourquoi faut-il qu’ils soient partis de France ? Et puisqu’ils ont fui, quel malheur que le hasard ne les ait pas jetés, comme les Puritains anglais, sur un monde à prendre au néant ! Quel malheur aussi qu’après 1789 tant d’émigrés aient marché dans l’Armée de Condé, tenté le sort à Quiberon ou mené les Vendéens au feu ! En partant avec ses tenanciers pour le Saint-Laurent, comme le faisaient les seigneurs sous Louis XIV et Louis XV, la noblesse d’alors eût doublé notre Canada.