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GÉOGRAPHIE.

Ainsi les noms des provinces survivent à la division par départements. Ils sont bien plus vrais ; ils sortent du fond de l’histoire, de la vie de la France pendant mille ans, des entrailles du soi quand la France n’était pas encore née, lorsque des sauvages vêtus de peaux rôdaient, l’oreille au guet, dans les forêts et dans les fondrières. Les départements, eux, sont de simples fictions qui durent depuis deux ou trois vies d’homme ; ils sont nés d’un décret, ils peuvent mourir d’un décret ; et si quelque accident, quelque loi, quelque nouvelle fiction les emportent, ils laisseront peu de trace dans le souvenir du peuple.

Mais, pour ne rien exagérer, les provinces, en 1789, avaient encore quelque chose d’administratif et de conventionnel. Lorsque éclata la Révolution, elles n’avaient pas eu le temps de cimenter tous leurs éléments ; elles renfermaient un nombre plus ou moins grand de petits pays, divers de nature et d’histoire, pays dont les noms vivent encore pour la plupart ; beaucoup même ne périront qu’avec la France.

On comptait 350 à 400 de ces pays, à peu près autant qu’il y a d’arrondissements. Parfois ils se distinguaient peu ou point de leurs voisins, l’histoire seule, qui est en partie le hasard, ayant créé ces petites contrées autour d’une ville ou de l’aire d’un hobereau. Mais souvent, en passant de l’une à l’autre, comme, par exemple, de Beauce en Sologne par-dessus le val de Loire, ou de Caux en Bray, ou de Puisaye en Gâtinais, ou de Bocage en Plaine, ou de Médoc et de Chalosse en Landes, on change en même temps de climat, de plantes, de nature de sol et de nature d’hommes. Suivant ces différents pays, on va des granits aux craies ou aux calcaires, de la glaise aux sables, de la brume à la lumière, du seigle au blé ou de la pomme de terre au maïs, du cidre au vin, de l’homme lourd à l’homme alerte, du musculeux au nerveux, du contemplatif au bavard. Une France divisée en ces 350 à 400 régions, d’ailleurs très inégales entre