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COLONIES FRANÇAISES.

dialecte de l’annamite, langue monosyllabique, parente du chinois, écrite idéographiquement comme lui, chaque signe représentant non pas une lettre, mais un objet ou une idée.

Soldats et marins à part, il n’y a pas encore en Cochinchine 1 500 Européens, et tous ces Européens ne sont pas des Français, tant s’en faut. L’enfant des climats tempérés supporte mal la chaleur humide qui pèse lourdement sur l’alluvion cochinchinoise ; ce n’est point la torridité qui le terrasse, le thermomètre montant rarement à 30 degrés et ne dépassant pas 35 ; c’est la moiteur qui l’accable, et, par la fièvre et la dysenterie, le mène à l’anémie d’où sortent tous les maux. La France peut y dominer, elle n’y formera jamais une colonie de son sang ; elle y restera campée comme les Anglais dans l’Inde ou les Hollandais à Java. Tout au plus y crée-t-elle des métis qui, pressés par le milieu même, auront plus de pente vers l’élément cochinchinois que vers l’élément français. Des hommes frivoles ont cru que l’Algérie resterait un camp, ce sont les hommes sérieux qui craignent que la Cochinchine reste toujours un comptoir.

Le Chinois, lui, redoute peu ce climat. Boutiquiers, négociants, marchands de riz, banquiers, ouvriers, colons, ces Jaunes rasés de crâne et glabres de joue envahissent les cités et les bourgs. Pour un Blanc il arrive ici trente à quarante Fils du Ciel. Ce comptoir de la France est une colonie de la Chine.


Saigon règne sur cette colonie, la seule avec Pondichéry qui nous donne plus qu’elle ne nous coûte, pécuniairement parlant ; mais il ne faut pas mesurer la valeur d’un pays d’outre-mer à ce qu’il emporte ou rapporte d’argent au trésor de l’État. La métropole arrachée à sa torpeur, la colonie cessant d’être un désert, ou de terre barbare devenant terre humaine, l’éveil et le croisement des entreprises, le pavillon courant les mers, la langue de la patrie conquérant des foyers et ses chefs-d’œuvre des