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L’ASILE.

veler lentement au gré de la nature. Tantôt j’allais errer au milieu d’un chaos de pierres écroulées d’une crête rocheuse ; tantôt je cheminais au hasard dans une forêt de sapins ; d’autres fois, je gagnais les crêtes supérieures pour aller m’asseoir sur une cime dominant l’espace ; souvent, aussi, je m’enfonçais dans un ravin profond et noir où je pouvais me croire comme enfoui dans les abîmes de la terre. Peu à peu, sous l’influence du temps et de la nature, les fantômes lugubres qui hantaient ma mémoire relâchèrent leur étreinte. Je ne me promenais plus seulement pour échapper à mes souvenirs, mais aussi pour me laisser pénétrer par les impressions, du milieu et pour en jouir comme à l’insu de moi-même.

Si, dés mes premiers pas dans la montagne, j’avais éprouvé un sentiment de joie, c’est que j’étais entré dans la solitude et que des rochers, des forêts, tout un monde nouveau se dressait entre moi et le passé ; mais, un beau jour, je compris qu’une nouvelle passion s’était glissée dans mon âme. J’aimais la montagne pour elle-même. J’aimais sa face calme et