Page:Reclus - Histoire d’un ruisseau.djvu/160

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à l’infini l’aspect de la surface liquide en laissant ma main tremper dans le flot. Je la promène au hasard et chacun de ses mouvements modifie les ondulations de la nappe changeante. Les rides, les remous, les bouillonnements se déplacent ; tout le régime du cours d’eau varie à ma volonté suivant la position de mon bras, et ces vaguelettes qui se forment sous mes yeux, je les vois se reployer vers le courant, se mêler à d’autres ondulations, de plus en plus affaiblies, mais toujours reconnaissables, se propager jusqu’au tournant du ruisseau. La vue de toutes ces rides obéissantes à l’impulsion de ma main réveille en moi une sorte de joie tranquille mêlée à je ne sais quelle mélancolie. Les petites ondulations que je provoque à la surface de l’eau se propagent au loin, et de vague en vague, jusque dans l’espace indistinct. De même toute pensée vigoureuse, toute parole ferme, tout effort dans le grand combat de la justice et de la liberté se répercutent souvent à l’insu de nous-