Page:Reclus - Histoire d’un ruisseau.djvu/262

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ves de guerre ou les femmes asservies à leur brutal mari : il moud le blé, brise le minerai, triture la chaux et le mortier, prépare le chanvre, tisse les étoffes. Aussi l’humble moulin, fût-il même rongé de lichens et d’algues, m’inspire-t-il une sorte de vénération : grâce à lui, des millions d’êtres humains ne sont plus traités en bêtes de somme ; ils ont pu relever la tête et gagner en dignité en même temps qu’en bonheur.

Quel souvenir charmant nous a laissé ce moulin de notre petite bourgade ! Il était à demi caché — peut-être l’est-il encore — dans un nid de grands arbres, vergnes, trembles, saules, peupliers ; on entendait de loin son continuel tic-tac, mais sans voir la maison à travers le fouillis de verdure. En hiver seulement, les murailles lézardées apparaissaient entre les branches dépourvues de feuilles ; mais dans toute autre saison, il fallait, avant d’apercevoir le moulin, pénétrer jusque dans la cour, déranger le troupeau des oies sifflantes et réveiller dans sa