Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome III, Librairie universelle, 1905.djvu/326

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
306
l’homme et la terre. — barbares

part à cette industrie se considérèrent comme frustrés d’un droit héréditaire et, forcés de changer de métier, rétrogradèrent en culture, se faisant surtout pillards, soit à la solde des Romains, soit à la suite de chefs choisis par eux. Ce fut une des causes du prodigieux ébranlement des hommes qui s’appelle la « migration des barbares »[1].

Lors de ce grand événement, les voies longitudinales de l’Europe, celles qui courent de l’est à l’ouest, eurent plus d’importance que les voies transversales ayant l’Italie et spécialement Rome pour objectif. Les Gaules, avec leur doux climat, leurs rivières abondantes, leurs plaines fécondes, leurs gracieux coteaux, étaient alors une terre presque aussi désirée que l’Italie, et les routes d’accès en étaient beaucoup plus faciles. Des plaines que parcourt la Volga aux vallées de la Somme, de la Seine et de la Loire, il semble à la vue de la carte qu’il n’y ait point d’obstacles ; ils existaient cependant et même fort nombreux : ici des marécages, ailleurs des forêts, de larges estuaires ou lits fluviaux ; mais les marchands et autres voyageurs se présentant en amis trouvaient sans peine les guides qui leur montraient les terrains secs, les clairières, les lieux de gué. Quant aux peuples conquérants et ravageurs qui émigraient en masse, il leur fallait s’ouvrir un passage à travers les populations et souvent les entraîner avec eux, mais c’est toujours dans la zone des terrains peu élevés de la Germanie septentrionale que leur route était le plus largement ouverte, et c’est là d’ailleurs que le pillage des campagnes leur procurait le plus de vivres.

À ces époques anciennes qui précédèrent le conflit des légions romaines et des tribus germaniques, le vaste territoire devenu l’Allemagne était loin d’être également occupé dans toute son étendue : la répartition des peuplades y présentait de beaucoup plus grands contrastes que la distribution des pagi dans les Gaules. Au sud des régions littorales du nord, les massifs et les chaînes de montagnes, d’une faible élévation moyenne, n’étaient pas en soi des obstacles suffisants pour empêcher en entier le peuplement de l’un et l’autre versant ; mais les forêts qui recouvraient d’énormes espaces, monts, plateaux et plaines, écartaient les colonisateurs et les peuplades en marche d’une manière beaucoup plus efficace que les

  1. Ph. Champault, Science Sociale, 1894, p. 53.