Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome III, Librairie universelle, 1905.djvu/405

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
385
monastères occidentaux

beaucoup moins pour prier et se livrer à la contemplation que pour se soustraire aux dangers de la guerre et de l’oppression universelle. Les terres ayant été dévastées et les villes prises d’assaut, l’avenir se présentait aussi gros de dangers que le passé avait été gros de désastres, il était tout naturel que les jeunes et les ardents voulussent échapper à la béate résignation des faibles et fuir les lieux de passage dangereux suivis par les bandes guerrières. Ils firent donc choix d’endroits écartés pour s’établir sur des terres abandonnées, faciles à défendre, et, sans demander d’autorisation à quelque autorité que ce fût, pas même aux évêques, grands seigneurs aussi redoutables que les guerriers, se groupèrent en communautés libres, apportant chacun son petit avoir. On voit poindre de toutes parts, dans les contrées les plus pauvres, les plus désolées de l’Occident, des monastères de travailleurs à demi faméliques et d’une ignorance parfaite, qui furent les noyaux primitifs et populaires d’institutions monacales, destinées plus tard à se transformer profondément[1].

Une autre raison, surtout dans les parties les plus policées de l’ancien empire, favorisa la naissance des communautés de moines. Des hommes relativement instruits, que hantait le souvenir de la gloire antique, s’unissaient pour maintenir de l’ancienne société latine ce qui pouvait en être conservé. Les monastères fondés par eux étaient autant de petites Rome qui se constituaient en enceintes inaccessibles aux barbares, retenus d’ailleurs en dehors par le respect, peut-être aussi par la crainte des sortilèges et des prières magiques. La retraite choisie par les moines prenait alors le caractère d’une villa romaine ; seulement, au lieu d’appartenir à un patricien entouré d’esclaves, elle était la propriété d’un certain nombre de sociétaires mettant en commun leur petit capital et leurs efforts pour vivre dans un bien-être relatif et conserver les jouissances délicates de la vie civilisée. Ils ne travaillaient point leurs terres eux-mêmes et les confiaient à des colons, tandis que dans leurs jardins ombreux, bien protégés par l’enceinte quadrilatère des murs, ils devisaient des choses de l’art ou de la philosophie, récitaient des strophes, lisaient des manuscrits, héritage de la pensée antique. Ces monastères religieux furent pour la plupart de simples transformations des anciennes

  1. Victor Arnould, Histoire sociale de l’Église, Société Nouvelle, mars 1896, pp. 349, 350.