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l’homme et la terre. — arabes et berbères

Les historiens catholiques sont assez embarrassés au sujet de Charles Martel, car il leur faut glorifier son exploit tout en condamnant sa personne : le héros avait osé toucher aux biens ecclésiastiques et dépouiller les églises ; aussi prétendit-on que le diable emporta son cadavre immédiatement après sa mort et que l’on vit un serpent s’échapper de sa tombe. Mais on exalte l’événement auquel est attaché son nom. Les écrivains officiels comparent volontiers la bataille de Sainte-Maure à celle de Marathon : le refoulement des Arabes par les chrétiens serait, d’après eux, un fait capital non moins heureux que le fut l’arrêt des Perses par les Grecs, près de douze siècles auparavant.

Pour juger ce point d’histoire en équité, il importe de savoir de quel côté se trouvaient alors les « porteurs de torches » dans les sciences et les arts. Or, il est certain, d’une manière générale, que le mahométisme n’apporta pas ce mépris du savoir que, dès son origine, manifesta la religion du Christ. C’est que les disciples de Jésus et de Paul eurent tout d’abord à lutter contre des théologiens et des philosophes, ceux-là, versés dans les Écritures, ceux-ci, connaissant à fond la littérature de l’antiquité et sachant discuter les idées avec un art parfait de la dialectique. Les chrétiens devaient maudire la science parce qu’ils voyaient en elle l’ennemie par excellence et qu’ils eurent de tout temps à souffrir des sarcasmes des savants. Les mahométans, au contraire, étaient moins ignorants que leurs voisins immédiats, les païens du désert : grâce aux conversations qu’ils avaient eues avec des nestoriens et avec des Juifs, ils étaient même les hommes les plus érudits et les plus habiles à discuter que possédât la Péninsule. Ils n’eurent donc pas à prononcer contre la science les blasphèmes du christianisme naissant : quoiqu’ils vissent dans toute étude un emploi peu digne d’occuper le temps de gens pensant à leur salut, ils n’allèrent point jusqu’à réprouver la recherche des vérités scientifiques. Même le Prophète proférait à cet égard des enseignements qui dépassèrent probablement sa pensée. « Cherchez à conquérir la science, disait-il à ses disciples, quand vous devriez la poursuivre jusqu’en Chine ». Ailleurs, il recommandait à un de ses fidèles : « Travaille sur terre pour acquérir la science et des biens terrestres comme si tu devais vivre éternellement, et dirige tes actions en vue de la vie future comme si tu devais mourir demain ». Sans doute,