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l’homme et la terre. — carolingiens et normands

animaux. Les régions côtières du golfe de Kristiania furent naturellement la contrée de transition entre le pays de Trondhjem et le Danemark ; tout ce qui venait du midi pénétra par cette voie, la monarchie, le servage et le christianisme. Les connaissances industrielles apportées par ce chemin trouvèrent aussi des artisans très empressés parmi les hommes du Nord.

L’un d’eux, que les chroniques désignent sous le nom d’Ottar, fut même le héros d’un grand voyage, sans exemple par son désintéressement pendant cette cruelle période du moyen âge. Ce vaillant s’était demandé ce qu’il y avait dans les parages du nord, par delà les îles et les écueils dont lui avaient parlé les pêcheurs. « Il ne savait pas, et il voulait le savoir » : telle était l’expression naïve de son désir. Ottar partit en 870, naviguant toujours en vue des côtes ; diverses fois il entra en relations avec les indigènes, pêcheurs ou chasseurs, et reconnut qu’ils appartenaient à une race différente de la sienne : c’étaient des Lapons, comme de nos jours. Après avoir dépassé de trois journées l’extrême limite atteinte précédemment par les harponneurs de baleines, il constata que le rivage fuyait du côté de l’est et, cinglant autour du promontoire le plus avancé de la péninsule Scandinave, il suivit pendant quatre jours la côte dite aujourd’hui de la Mourmanie[1], puis entra dans une mer qui lui permit d’arriver après cinq jours de navigation à l’embouchure d’un fleuve : c’était la Dvina, qui se déverse dans la mer Blanche. Il n’osa pas débarquer sur la rive parce qu’il eut peur des Biarmiens ou Permiens, de race finnoise, qui s’y pressaient en grand nombre et qui auraient pu le tuer ou le réduire en esclavage. Il reprit le chemin de la Scandinavie occidentale, ayant ainsi constaté, ce que l’on ignorait avant lui, que le pays normand n’était point une terre isolée dans les mers du Nord. Vers la même époque un autre Normand, Wulfstan, avait exploré en géographe toutes les îles méridionales de la Baltique jusqu’aux parages de l’Ehstonie, « riche en miel et en poissons »[2]. Près de sept siècles s’écoulèrent avant que d’autres navigateurs suivissent Ottar autour du cap Nord et dans la mer Blanche : c’est en 1553 seulement que l’Anglais Chancellor visita le rivage de ces mers septentrionales de la Russie[3].

  1. Mourmanie signifie probablement « le pays des Normands ».
  2. Bosworth, King Alfred’s Anglo-Saxon Version of Orosius ; Lowenberg, Geschichte der Géographie, p. 90.
  3. Oscar Peschel, Geschichte der Entdeckungen, pp. 80 et suiv.