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empire latin

appliquer de leur mieux dans le pays nouveau qui leur restait inconnu. D’abord ils divisèrent l’empire en grands fiefs et en seigneuries vassales comme pour y établir les dissensions et la guerre en permanence : ils eurent donc à lutter entre eux, tout en se défendant contre les Bulgares du nord, contre les Turcs de l’est et les principautés grecques indépendantes qui s’étaient maintenues en Epire et en Anatolie. Aussi l’empire Latin, de plus en plus amoindri, cessa-t-il d’exister après un peu plus d’un demi-siècle (1204 à 1261) de précaire existence.

Les contrées de l’empire d’Orient où l’influence occidentale se fit le mieux sentir furent le Péloponèse et les îles éparses autour de la Grèce continentale. Le fait s’explique facilement : Morée et Sporades étaient beaucoup plus aisées à visiter de France et de Venise que les escales de l’Orient proprement dit ; en outre, la Morée, divisée naturellement en bassins séparés comme les alvéoles d’une ruche, se prêtait mieux que tout autre pays à l’organisation du régime féodal, tandis que chacune des Cyclades, avec son port et son entrepôt de commerce, devenait sans peine un comptoir, un jardin et un champ d’oliviers pour quelque grande famille de nobles Vénitiens. C’est en 1540 seulement, près de trois siècles et demi après la surprise qui donna lieu à la fondation de l’empire Latin, que Venise fut obligée d’évacuer ses dernières possessions helléniques. En Morée notamment on trouve encore de nombreuses constructions militaires qui témoignent d’une solide occupation de la contrée par les barons occidentaux.

Les deux dernières croisades, que dirigea le roi de France, Louis IX, proclamé « saint » par l’église catholique, reprirent le caractère religieux qu’avaient perdu les précédentes expéditions de conquête et de pillage. Les Croisés redevinrent les « soldats de Dieu », mais des soldats qui n’avaient point la foi triomphante. Dans ses deux expéditions, saint Louis fut également malheureux. S’étant attaqué à l’Egypte, dans laquelle il voyait très justement la clef du Saint-Sépulcre, il put à grand’peine s’emparer de la ville de Damiette (1249); puis, entouré d’ennemis, il eut l’humiliation de tomber en captivité avec une grande partie de son armée et d’avoir à se faire racheter par son peuple à force de taxes et d’impôts. En sa deuxième campagne, il n’osa plus regarder vers la « ville sainte », définitivement perdue, mais, se bornant à traverser obliquement la Méditerranée, il débarqua près de Tunis, où la peste le fit périr avec la plupart des siens (1270). La légende mu-