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l’homme et la terre. — les communes

devait naturellement trouver d’autant moins de disciples que le pays était plus riche en monuments et que les résidants de la contrée pouvaient se vanter de leur prééminence artistique. Ainsi les provinces du midi français, appartenant à un cycle de civilisation bien antérieur à celui du nord et richement pourvues de nobles édifices aux vastes proportions, n’eurent que faire d’élever dans chacune de leurs cités des constructions de style analogue à celles du bassin de la Seine. Mais à l’est, dans les riches vallées de la Moselle et du Rhin, où le mouvement social et artistique se développait parallèlement à celui de l’Ile de France ; au nord, dans les Flandres, où l’industrie faisait naitre de riches communes pleinement conscientes de leur force ; au nord-ouest, dans l’Angleterre, que les Normands rattachaient filialement à la France par les arts, et même, en partie, par la langue ; dans tous ces pays, l’architecture ogivale fleurit en monuments splendides. Seulement les architectes anglais, plus pratiques, plus sages dans leur idéal de beauté que leurs frères continentaux, dressèrent des cathédrales relativement moins hautes, plus solides dans leurs vastes proportions et plus faciles à exécuter dans leur entier.

Au sud-ouest, les bâtisseurs de l’art ogival, suivant la voie historique par Bordeaux, Bayonne et la brèche biscayenne des Pyrénées, gagnèrent ainsi l’Espagne, où, parmi tant d’autres témoignages de leur audace et de leur science, se dresse la cathédrale de Burgos, puis le Portugal, où l’art des gens du nord, en contact avec celui des Mauresques, éleva les édifices les plus charmants par le mariage des deux styles. Quant à l’Italie, elle se vit partagée en deux domaines : dans la partie septentrionale de la Péninsule, c’est la « manière » allemande venue du Rhin et de la Ravière qui prévalut dans les quelques ornementations ogivales que les Italiens, fiers de leur supériorité dans l’art, jusqu’alors incontestée, consentirent à faire pour leurs édifices religieux et féodaux. Dans la partie méridionale au contraire et en Sicile, c’est la « manière » normande ou plutôt française qui se manifesta chez les constructeurs. Toutefois de part et d’autre, au sud comme au nord de l’Italie, le génie national qui pouvait montrer avec orgueil les puissantes masses romaines surplombant les églises des chrétiens modifia profondément le style gothique dans celles des cités qui firent appel aux artistes étrangers. Mais très loin, par delà l’Italie, vers l’extrémité orientale de la Méditerranée, les monuments de Cypre, s’élevant en pays vierge, pour ainsi dire, gardent fidèlement leur caractère d’origine. Telle cathédrale de