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l’homme et la terre. — les monarchies

esprits, qui n’osaient pas être libres. Seules, les communautés de pâtres montagnards, les républiques italiennes, les villes industrielles et commerçantes du nord de la France, de la Belgique, de l’Allemagne cherchaient à se maintenir en foyers indépendants.

Au milieu du treizième siècle, lorsque le mouvement des Croisades tirait à sa fin, l’une des parties de l’Europe qui, par sa configuration géographique, semblait le mieux destinée à se constituer en un corps politique distinct, cette France, qui déjà lors de la domination romaine formait, sous le nom de Gaule, une contrée bien délimitée dans l’ensemble de l’empire, avait été si totalement démembrée et déchiquetée par le régime féodal qu’il en restait à peine quelques lambeaux de territoire, auxquels s’ajoutait, il est vrai, la force virtuelle donnée par la suzeraineté royale. Ce beau polygone de terres, nettement limité par la Manche et l’Océan, par les Pyrénées, le golfe du Lion, les Alpes et le Jura, ne renfermait qu’un bien petit domaine royal représentant la France proprement dite : c’était à peu près la vingtième partie de la surface que l’on s’est habitué depuis à considérer comme terre française.

Le roi d’Angleterre était en même temps duc de Normandie, comte d’Anjou et des seigneuries qui s’y rattachaient ; en outre, un mariage heureux de Henri II Plantagenet avait ajouté l’Aquitaine à ces possessions anglaises : des Pyrénées à la Somme, plus de la moitié du territoire français se trouvait entre les mains d’un vassal, bien autrement puissant que le suzerain. Henri II, homme d’une activité prodigieuse et politique fort avisé, commença par consolider le pouvoir dans son royaume insulaire : il soumit les montagnards celtiques du pays de Galles, puis obligea le roi d’Ecosse, Malcolm, à lui rendre hommage, et, muni de l’incitation du pape, inaugura la conquête de l’Irlande, « l’île sœur », devenue l’île esclave. Revenu en France, il se fait concéder le comté de Nantes, ce qui lui permettra plus tard de prétendre à toute la presqu’île de Bretagne, puis il cherche, sans succès d’ailleurs, à s’emparer de Toulouse, en qualité de duc d’Aquitaine : il fait aussi valoir ses droits à la possession de l’Auvergne et du Berri : ce qu’il cherche, c’est à entourer complètement de ses domaines l’étroite enclave du roi de France. Il parvient même à établir ses garnisons dans quelques châteaux voisins de Paris, tels que Montfort l’Amauri[1] ; et le prétendu maître, cerné dans son « Ile », ne peut

  1. A. Luchaire, Histoire de France d’Ernest Lavisse, tome III, chap. II, p. 36.