Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome IV, Librairie universelle, 1905.djvu/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
92
l’homme et la terre. — les monarchies

devait avoir pour conséquence de livrer, appauvries et dépeuplées, les villes et les campagnes du Midi aux pillards de la France du Nord. Obligée de se soumettre au pouvoir de la royauté, la chevalerie prenait sa revanche en massacrant la foule des roturiers.

Ce régime féodal auquel la France échappait à grand’peine pour refaire son unité, non par la fédération libre de ses provinces mais sous la domination d’un maître commun, ce régime, l’Angleterre ne l’avait pas connu sous la même forme que la France et l’Allemagne. Tandis que sur le continent, le serf cultivateur du sol dépendait uniquement de son maître et que celui-ci, à son tour, ne devait fidélité qu’à son seigneur immédiat, sans avoir à s’inquiéter de la volonté du roi ni à se reprocher le crime de rébellion s’il avait suivi son propre suzerain dans une expédition de révolte, il n’en était pas de même en Angleterre, où tous les habitants étaient considérés comme sujets directs du roi. Guillaume le Conquérant avait exigé de tous un serment de féauté à sa personne, et chaque vassal ou sous-vassal était tenu pour responsable envers le maître commun avant de l’être envers son maître particulier. Chacun des hommes d’armes était « homme du roi » avant d’appartenir à son baron. Ce fut une des causes qui donna plus tard aux armées anglaises une si grande force de cohésion lorsqu’elles se trouvèrent en lutte avec les bandes françaises, unies seulement les unes aux autres en la personne de leurs chefs[1].

Cette forme de vassalité, si différente de celle qui s’était maintenue en France et dans le centre de l’Europe, avait eu une autre conséquence parmi les seigneurs eux-mêmes : l’ensemble de leur classe présentait une organisation plus démocratique. Moins séparés du pouvoir central puisque les degrés de la hiérarchie féodale étaient plus effacés, ils pouvaient se plaindre, protester, se révolter plus directement, et l’accord était plus facile entre eux, quand ils voulaient tenter une action commune. L’occasion s’en présenta dès le commencement du treizième siècle, lorsque Jean sans Terre, ayant signé le traité de Chinon (1213), par lequel il abandonnait au roi de France la plus grande partie de son domaine continental, débarqua en Angleterre, vaincu, bafoué, demandant à ses barons et à son peuple de lui payer les frais de la malheureuse guerre. L’indignation fut universelle et réconcilia contre le roi, prêtres, nobles et bourgeois. S’appuyant sur une vieille charte de Henri Ier, qui promet-

  1. W. Deaton, England in the fifteenth Century, pp. 27, 29.