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l’homme et la terre. — les monarchies

ment son pouvoir, non seulement aux dépens des hauts feudataires mais également du pape ; même le roi dont l’Eglise fit un « saint », Louis IX, ne se laissa point diriger par le clergé : plus sincèrement religieux que la plupart des prêtres et des moines, il pouvait se passer de leurs conseils. Un de ses successeurs, Philippe le Bel, qui monta sur le trône en 1285, put aller plus loin dans sa lutte contre l’Eglise : devancier de maint souverain moderne, il fut en plein moyen âge un diplomate retors, méprisant toute chevalerie, s’entourant de bourgeois aussi fins que lui, ne visant qu’à de bonnes affaires pour accroître méthodiquement son pouvoir et ses biens. Le pape que, précisément, il eut pour adversaire était un nouveau Hildebrand. Boniface VIII, un prêtre qui prétendait à la domination des corps aussi bien qu’à celle des âmes et qui croyait encore à la vertu des vieilles foudres d’excommunication. Philippe le Bel n’en réduisit pas moins son clergé à l’obéissance et, poursuivant le pape dans son propre domaine, Agnani, le fit capturer par des affidés, « dans l’intérêt de notre mère la Sainte Eglise » — ainsi s’exprime l’envoyé Nogaret —, et le réduisit à mourir de colère et de chagrin (1303). Le nouveau pape dut se faire très humble envers le roi que Boniface avait exclu de l’Eglise, puis fut remplacé par une créature de Philippe, par un simple vassal religieux, Clément V (Bertrand de Got), qui subit la honte de quitter la « ville éternelle » et d’aller demeurer dans Poitiers, puis dans Avignon, sous la surveillance de son véritable maître (1305).

La papauté, appuyée sur les communes lombardes, avait vaincu l’empire germanique après une longue série de luttes, mais cette dernière insulte faite par la monarchie française au pape ne menaçait en rien l’indépendance des villes libres ; aussi le monde chrétien s’émut-il fort peu de l’attentat d’Agnani : on ne croyait plus a l’autorité divine parlant par la bouche du successeur de saint Pierre.

Non seulement le roi de France s’attaqua directement au pape, il entreprit l’œuvre plus difficile encore de toucher à l’âme même de l’Eglise, représentée par ses trésors. L’excommunié de la veille commença par se faire octroyer toutes les dîmes du clergé français pendant cinq années ; puis, après s’être emparé des Juifs pour en extraire tout l’or qu’ils possédaient, comme on extrait l’huile de l’olive, après avoir rogné les pièces d’or et d’argent, il se fit livrer les Templiers, devenus banquiers chrétiens, et mit à l’ouvrage ses courtiers de Florence pour retirer de leurs commanderies tous les trésors amassés par les Chevaliers du Temple