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l’homme et la terre. — les monarchies

de durée fut de s’injurier et de se combattre, et l’on sait s’il en reste encore dans les esprits de déplorables survivances. La « guerre de Cent ans » — officiellement cent seize années depuis le jour où Édouard III prétendit à la couronne de France (1337) jusqu’à la prise de Bordeaux (1453), bien qu’en réalité l’antagonisme durât depuis Guillaume le Conquérant, roi en Angleterre, vassal en France, — la guerre de Cent ans fut la cause d’un très grand recul matériel et moral chez les deux nations. Ce drame effroyable explique par contre-coup comment l’Espagne et le Portugal, pourtant moins favorisés que la France à maints égards, l’emportèrent de beaucoup dans la concurrence vitale pendant le quinzième siècle : en épuisant la France et l’Angleterre, la guerre de Cent ans donna la suprématie temporaire à la péninsule Ibérique. La différence des caractères, le contraste des conditions sociales se révélèrent d’une manière remarquable entre les deux nations belligérantes, et donnèrent aux événements une forme singulièrement tragique. On peut dire, d’une manière générale, que la France représentait à la fois deux causes bien différentes : celle du peuple qui défendait justement et âprement ses campagnes, ses villes, ses ateliers, et la cause de la féodalité, qui ne savait même plus combattre et se lançait follement dans les batailles comme en des tournois de parade. Quant à l’armée anglaise, aventurée sur un sol étranger, elle savait dès le premier jour combien la guerre était chose sérieuse et s’y appliquait avec une industrie toute pratique. À cet égard elle constituait une sorte de démocratie contre la survivance féodale.

Le grand avantage initial des armes anglaises pendant cette guerre interminable provenait de la possession de la Guyenne : la France du nord était ainsi prise comme dans un étau. D’autre part, la situation géographique particulière de la Guyenne, relativement au pays de ses suzerains, les rois d’Angleterre, obligeait ceux-ci à prendre d’extrêmes ménagements pour se faire accepter comme protecteurs dans cette province éloignée. Le voisinage d’ennemis redoutables qui, du nord, de l’est, du sud, menaçaient constamment la frontière, les facilités qu’auraient eues les habitants pour se révolter si le moindre tort leur avait été causé par les maitres féodaux, leur assuraient de la part des Anglais un respect scrupuleux des libertés locales. Les Gascons se trouvaient alors, à l’égard du gouvernement de Westminster, dans une situation analogue a celle des Canadiens d’aujourd’hui. Dix sept communes autonomes