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l’homme et la terre. — mongols, turcs, tartares et chinois

sous le règne d’un Tamerlan ; ainsi, l’on voit parmi les animaux inférieurs des êtres qui continuent de se nourrir, alors que de l’autre côté ils sont mangés eux-mêmes ! Quelques-unes des admirables mosquées de Samarkand et de Bokhara, que fit bâtir Tamerlan, étaient des écoles vers lesquelles les étudiants accouraient de toutes parts. Chaque ville croyait encore, comme avant Djenghis-khan, être l’une des premières ou la première par ses institutions scientifiques aussi bien que par sa beauté. Samarkand se disait la « Tête de l’Islam ». et les restes superbes de la médressé d’Ulug-beg, qui date de 1420, rappellent ce que fut l’école de mathématiques et d’astronomie la plus fameuse de tout l’Orient. Quant à Bokhara, c’était aussi une ville de savoir, d’un savoir si profond, dit la légende, que « la lumière monte de Bokhara, tandis qu’ailleurs elle descend du ciel ». Mais quelle était la part de science personnelle et désintéressée, quelle la part de verbiage et de redites dépourvues de sens ? À la fin du dix-huitième siècle, Samarkand n’était plus qu’une ruine : il n’y avait qu’un seul homme, un berger, dormant sur la tombe du terrible roi boiteux, et sur la pierre avait été gravée cette inscription insultante pour le troupeau des hommes : « Si je vivais, le monde tremblerait encore » !

Dans l’Iranie comme dans le Turkestan, le passage des Mongols assura pour un temps le triomphe du Touran, celui du mauvais dieu Ahriman sur le dieu bon, le bienfaisant. Un grand vent destructeur de civilisation passa sur les campagnes qui se changèrent en steppes : on put dire des Mongols ce qu’on disait aussi des Turcs, que « l’herbe cessait de croître sur le sol battu du sabot de leurs chevaux ». Avec Djenghis-khan et Hulagu, dans la première moitié du treizième siècle, puis avec Tamerlan, dans la deuxième moitié du quatorzième, ce fut comme un déluge d’hommes, sous lequel la population persane fut engloutie : il semblait que le long travail des siècles fût à recommencer. Les dynasties nouvelles cessèrent même de prendre leur point d’appui sur le plateau d’Iran : c’est de Samarkand, et non de quelque cité placée dans la haute citadelle du massif iranien, que Tamerlan gouverna son empire.

Fait caractéristique : les Mongols n’ont donné au monde policé qu’un seul art, d’ailleurs très ingénieux, celui de la fauconnerie. Le phénomène s’explique, car, dans la Terre des herbes, aux horizons illimités, se trouvent réunies toutes les conditions nécessaires pour que cet art pût naître et se développer. L’espace est libre devant le chasseur, aussi