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l’homme et la terre. — mongols, turcs, tartares et chinois

conquêtes ne furent que d’éphémères chevauchées. Un autre peuple conquérant s’était établi dans ces contrées, aux abords de l’Europe. Vers 1225, un gros de Turcs, d’environ cinquante mille hommes, avait prévu l’ouragan mongol qui allait fondre sur eux et, fuyant les plaines du Khorassan, conquises sur les Persans orientaux, avait cheminé dans la direction de l’ouest, vers les montagnes de l’Arménie. Là, les chercheurs d’aventures trouvèrent des frères de race, les Seldjoucides, qui commandaient depuis des siècles dans l’Asie Mineure, mais dont la force initiale d’attaque était déjà partiellement épuisée. Les Turcs du Khorassan étaient encore dans leur fureur primitive de hasards et de combats ; ils se firent les champions du sultan seldjoucide de Konia et, sous le commandement d’Ertogrul, reçurent, dans la Phrygie du nord-ouest, un territoire à défendre contre l’empereur de Constantinople. Ce fut la lutte impitoyable du guerrier nomade contre l’agriculteur pacifique, la guerre sainte du mahométan contre le chrétien. En chaque rencontre, les Turcs, combattant de plein cœur, mettaient les mercenaires de Bysance en complète déroute. Devenu « sultan » pour son propre compte, le fils d’Ertogrul, Osman, dans les veines duquel coulait plus de sang grec que de sang turc, acquit une telle gloire militaire que son peuple fut désormais designé, d’après lui, sous le nom d’Osmanli.

C’était à la fin du xiiie siècle, Orkhan, non moins heureux que son père, s’empara de la magnifique Brousse au pied de l’Olympe de Bithynie, et y fit dresser son palais de la « Sublime Porte », d’où il apercevait au loin le pays qu’il voulait conquérir sur le bord de la mer ; puis Nicée tomba entre ses mains en 1330. Déjà Suleïman, fils d’Orkhan, put se saisir d’un point fixe sur la côte opposée en Europe : il prit Gallipoli, sur les Dardanelles (1356), et s’y maintint, fermant ainsi du côté du sud-ouest l’une des portes naturelles de Bysance ; le blocus, qui devait, un siècle plus tard, donner Constantinople aux mahométans, venait de commencer.

Le nom des Turcs Osmanli était devenu si redoutable que, malgré le petit nombre de leurs combattants, vingt-cinq mille à peine[1], on voyait déjà en eux les destructeurs de la Rome orientale. Mais, sachant la difficulté de leur entreprise, ils s’y préparèrent avec une grande prudence militaire : aucune armée n’était plus solidement organisée pour les

  1. H. Vambéry, Die primitive Cultur des Turko-Tatarischen Volkes, p. 47.