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l’homme et la terre. — la renaissance

qu’un seul ouvrage par an et de transcrire les manuscrits en se gardant bien de les orner de la moindre rubricature[1]. C’était aux artistes du dehors, aux ouvriers enlumineurs, que revenait ce travail profane.

Aussi, combien pauvres en livres étaient, pendant les siècles du moyen âge, les plus illustres monastères ! Le plus riche de tous, en 1472, à la veille de la Renaissance, est celui de Clairvaux, qui, d’après d’Arbois de Jubainville, renfermait 1 714 volumes. Notre-Dame de Paris ne possédait, en 1297, que 97 ouvrages, tandis qu’avant cette époque, au Caire, la bibliothèque des Fatimites aurait, d’après Quatre-mère, contenu plus de deux millions et demi de volumes ! Il est vrai que la bibliothèque du Vatican dépassait toutes les autres en Europe : sous Sixte IV, elle se composait de 2 546 volumes. On se rappelle la visite faite par Boccace à ce qui restait au quatorzième siècle de la bibliothèque du mont Cassin : il n’y trouva guère que des livres mutilés ; les moines raclaient alors les cahiers, coupaient les marges et en faisaient de petits psautiers pour les enfants et les femmes[2] ! C’est ainsi que nombre d’ouvrages de l’antiquité gréco-romaine, existant encore au dixième et au douzième siècles, se perdirent avant les jours lumineux de la Renaissance et si, à cette époque, les érudits purent heureusement en retrouver un grand nombre, c’est qu’ils les cherchèrent et les firent apparaître de nouveau, sous le grimoire de prières, de recettes ou de formules sans valeur dont les parchemins avaient été griffonnés.

Même avant la découverte de l’imprimerie, les humanistes avaient commencé la grande œuvre de conquête littéraire et scientifique qui, désormais, devait se poursuivre sans arrêt. Le sens de la continuité dans l’histoire se réveille, et des érudits cherchent à renouer les événements des temps anciens à ceux des temps modernes par dessus la période obscure du moyen âge. Flavio Biondo, l’auteur du premier ouvrage de reconstitution archéologique de Rome[3], essaie de renouveler en Italie la tentative de Ibn Khaldun chez les Mahométans de Maurétanie, un siècle avant lui, mais avec un esprit plus large, une conception plus haute et plus philosophique. L’historien arabo-berbère avait pris pour objet de ses études le développement de la civilisation dans l’ensemble de l’humanité, mais, tout en disant qu’il croit avoir été le seul à s’occuper de celle « science nouvelle ». il ajoute modestement, qu’il peut se tromper,

  1. D’Arbois de Jubainville, De l’Intérieur des Abbayes cisterciennes, p. 62.
  2. Benvenuto de Imola, cité par Philippe Monnier.
  3. Roma Instaurata, 1446.