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l’homme et la terre. — la renaissance

pour prendre possession de l’héritage hellénique. D’ailleurs, même à la veille de la Renaissance, l’élément grec, qui, deux mille années plus tôt, avait alimenté l’école de Pythagore et d’autres collèges de science et de philosophie dans la Grande Grèce, se maintenait encore au sud de l’Italie, grâce à l’influence de Constantinople, qui était restée la souveraine du pays jusqu’à la fin du onzième siècle, et n’avait cessé de lui envoyer de nombreux fugitifs. Le vieux fond japygien de la population primitive apparentée aux Pélasges s’était si bien accommodé de la culture grecque que la langue « romaïque » ne serait pas complètement éteinte vers l’extrémité méridionale de la terre d’Otrante et de celle de Calabre. La patrie de Giordano Bruno, de Campanella, de Vico n’est-elle pas foncièrement grecque par le caractère de la pensée[1] ?

Toutefois, la restitution de la littérature et de la pensée grecques à l’époque de la Renaissance ne se fit point dans l’Italie méridionale, encore à demi-hellénique d’origine : elle devait naturellement s’accomplir dans la partie septentrionale de la Péninsule, là où l’histoire avait eu sa plus rapide évolution. Florence, qui était alors le véritable centre de l’Italie artistique et savante, « Florence, la cité qui fut la fleur des cités »[2], devint comme une nouvelle ville grecque.

Florence apporte à son œuvre artistique tout autant d’imagination et de verve créatrice que la grande Athènes, mais pourtant moins de richesse et de variété : elle semble découragée, dégoûtée de l’action et ne s’insurge pas contre la domination étrangère. Le cœur n’y est pas au niveau du génie, nous dit-on[3], mais ne serait ce pas plutôt que son idéal est au-dessus de la terre et que les misérables disputes des hommes ne peuvent en ternir la pureté adamantine ? Les poètes depuis Pulei et Bojardo jusqu’à l’Arioste et à Goldoni, les peintres depuis le Pérugin jusqu’au Corrège, tous montrent la même sérénité. Durant le sac de Rome, le Parmesan peignait encore que les lansquenets pénétraient dans son atelier. « Cherchez, dit Quinet, dans les vierges d’Andréa del Sarto et de Raphaël, le triste regard de l’Italie esclave, violée, dépouillée, lacérée, déchiquetée : vous y trouverez le regard du bienheureux qui monte au ciel, non le désespoir d’une chute politique ». L’Italie est, par l’histoire de son art et de sa pensée philosophique et politique, sortie la première du cercle étroit de la nationalité proprement dite. Elle s’est confiée, sans

  1. François Lenormant, La Grande-Grèce, t. XI, p. 65 ; — Ernest Nys, Autour de la Méditerranée, p. 4.
  2. J. Ruskin.
  3. G. Perrot. Revue des Deux Mondes, nov. 1870.