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l’homme et la terre. — la renaissance

si brillante en Allemagne, comme un paradis perdu » (Schmoller).

La prééminence de ce grand moment dans l’histoire provenait de l’équilibre respectif des grandes villes qui, tout en s’étant dégagées de la domination des prêtres et de l’autorité absolue de l’empereur, étaient néanmoins obligées de s’appuyer les unes sur les autres pour se maintenir en liberté et constituaient en réalité une sorte de fédération des plus complexes, puisque les conditions en variaient étrangement de communauté à communauté. Par suite de cet appui mutuel, la paix s’était établie, une paix toujours frémissante et instable comme l’aiguille aimantée, qui, tout en oscillant sans fin, n’en reste pas moins en constante gravitation vers son nord. Ces villes étaient puissantes par leur commerce et par leurs corporations industrielles ; elles l’étaient aussi comme centres agricoles et possédaient de grands domaines. Le territoire de Nürnberg, urbain et terrien, s’étendait sur l’espace énorme de 1 100 kilomètres carrés, quatorze fois celui de Paris : il comprenait non seulement de vastes communaux, mais aussi des terres de labour, cultivées au profit des citoyens et consistant pour la plupart en fiefs achetés à des familles nobles tombées dans la misère. Ces possessions urbaines étaient presque toutes exploitées par des fermiers libres, quoique le travail des colons asservis à la glèbe n’en fût point exclu, tant les régimes sociaux les plus divers s’entremêlaient dans cette société si compliquée du moyen âge ! C’est l’époque où Maximilien, du vivant de son père, proposait la réunion d’un congrès à Francfort pour l’établissement de la paix perpétuelle[1].

Les progrès étaient facilités, dans cette période relativement heureuse, par la constitution de la propriété, beaucoup moins injustement distribuée qu’elle l’avait été précédemment et qu’elle le fut après la Réforme. Tous les villages possédaient leur communal, consistant en bois, prairies, pâtis, et tous les communiers y avaient un droit égal, même dans les domaines composés de biens seigneuriaux : le colon attaché à la glèbe avait sa part de terre comme le paysan libre, pourvu qu’il appartint réellement au pays, qu’il y eût son « propre feu, son pain et sa nourriture bien à lui ». Aucune parcelle de ce terrain de tous ne pouvait être vendue, et les seigneurs fonciers n’avaient pas même le droit, sans la permission des communiers, d’y faire couper du bois et d’en ordonner le transport en dehors des limites du village. Cependant le malheureux,

  1. J. Janssen, vol. cité, p. 500.