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premiers libraires

Ayant cessé d’être un secret, l’art de imprimerie se répandit rapidement dans toute l’Europe, et, jusqu’à la fin du siècle, en moins de quarante années, on compte plus de mille imprimeurs, pour la plupart Allemands d’origine. Deux ans après la prise de Grenade sur les Maures, il y avait déjà dans cette ville trois imprimeurs allemands ; deux de ces industriels s’aventuraient même jusque dans l’île équatoriale de Sâo-Tome, où maintenant il serait difficile de découvrir un libraire.

Naturellement une certaine division du travail ne manqua pas de s’établir aussitôt dans les diverses contrés pour l’œuvre de reproduction des manuscrits possédés par les savants. L’Allemagne beaucoup plus engagée que l’Italie dans le mysticisme du moyen âge, imprimait surtout des ouvrages religieux, psautiers, prières, récitations pieuses auxquels s’ajoutaient des grammaires, des recueils de mots et de dictons. Beaucoup de livres imprimés en Allemagne, avant la fin du quinzième siècle se sont perdus pendant les guerres qui suivirent, mais il reste encore plus de mille ouvrages de cette époque, dont plus de cent Bibles et 59 Imitations. Quant à l’Italie, le pays des humanistes par excellence, déjà presque dégagée en ses classes instruites de la croyance au christianisme, elle s’occupa surtout de la publication des classiques. Deux moines, Schweinheim et Panartz, avaient introduit, en 1465, l’imprimerie dans le couvent de Subiaco ; dès 1476, Milan imprima le premier livre grec, la grammaire de Constantin Lascaris, et bientôt l’on voit Alde Manuce « le Romain » imprimer « toute la sagesse des Grecs… aussi longtemps qu’il a un souffle de vie ». De 1495 à 1514, il publie successivement Aristote, Hésiode, Jamblique et les néo-platoniciens, Aristophane, les épistoliers grecs, Thucydide, Sophocle, Hérodote, les Helléniques de Xénophon, Euripide, Démosthènes, les Opuscules de Plutarque, Platon, Pindare ; puis Virgile et autres latins. A l’époque où l’atelier de Manuce à Venise produit ces admirables et précieuses éditions, dont les exemplaires se vendaient 2 fr. 50, valeur actuelle, l’Allemagne en est encore à imprimer laidement et petitement des grammaires et des manuels d’orthographe pour des commençants.

Désormais tout le trésor de l’antiquité appartient à celui qui veut apprendre et savoir, et l’on peut boire directement à la source, au lieu de recevoir la liqueur plus ou moins mélangée dans son cours par des canaux impurs. Qu’on se rappelle le cri d’enthousiasme poussé par le bon Gargantua, s’adressant à son fils Pantagruel : « Maintenant toutes