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l’homme et la terre. — la renaissance

mation de ses domaines épars en un royaume puissant et bien équilibré.

Mais cette unité qu’il voulait créer pour une Bourgogne en très grande partie artificielle entrait forcément en conflit avec d’autres groupes politiques plus solidement constitués et d’une plus grande vitalité naturelle comme organisations nationales, l’Allemagne, la Suisse, la France. Or, cette dernière se trouvait précisément régie par le maître le plus avisé et le moins aventureux qui fût jamais. Le contraste entre les deux souverains rivaux était complet, ajoutant des traits comiques et même grotesques aux éléments du drame. Déjà les populations avaient été frappées de la singulière différence que présentaient dans leur port et leur maintien le jeune Louis XI et le duc de Bourgogne, dit « le Bon », qui s’était fait le fastueux mentor et protecteur du roi de France. Lorsqu’ils firent ensemble leur entrée dans Paris (1461), on disait du roi : « Est-ce là un roy de France ? Tout ne vaut pas vingt livres, cheval et habillement de son corps », tandis que Philippe le Bon était proclamé « un soleil d’homme » par la voix unanime de la foule[1]. Lorsque plus tard Louis XI eut pour adversaire, quoique souvent pour allié prétendu, le simple et impétueux fils de Philippe, Charles le Téméraire, l’opposition des deux individualités caractéristiques placées à la tête des deux États prit une forme saisissante. Ils étaient pourtant bien l’un et l’autre fils de leur temps et n’appartenaient au moyen âge que par des survivances d’ordre secondaire. Louis XI comprenait parfaitement l’intérêt capital qu’il avait à s’appuyer sur le populaire pour combattre les grands vassaux et ramener la féodalité à l’observance des lois du royaume ; quoique fort dévot et même fétichiste dans son adoration des images saintes, il n’ignorait pas le danger que courrait la société civile s’il laissait s’affermir la puissance des prêtres et des moines, et, quoique le premier des rois de France que le pape eût qualifié de « très chrétien », il fut peut-être celui qui aida le plus à dégager le peuple de sa foi première en donnant à l’administration civile la prépondérance sur le pouvoir religieux ; enfin il aima la paix et sut même vivre simplement, en un modeste château qui n’avait rien de royal. On l’appela l’ « araignée » : il se tenait prudemment blotti au fond de sa toile, surveillant les mouches bourdonnantes qui volaient de-ci de-là autour de lui et qui, finalement, venaient se faire prendre dans les fils du réseau.

  1. H. Fierens-Gevaert, Psychologie d’une Ville.