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l’homme et la terre. — réforme et compagnie de jésus

pour cultiver en lui le sens de la beauté. Tel humaniste, Erasme par exemple, se montre à nous comme dominant de très haut par l’intelligence et l’ironie les disputes religieuses et les dissensions politiques auxquelles se livrent furieusement ses contemporains, mais cette supériorité de pensée est réduite à néant parce qu’elle reste stérile et ne se transforme point en action. Elle ne participe en rien à la vie générale des peuples entraînés dans le grand remous des événements. Au contraire, elle s’en éloigne lâchement, de peur de compromettre la tranquille élaboration de la pensée et la préparation lente des phrases exquises qui doivent la traduire aux amis de choix. Erasme, le grand penseur, est aussi l’homme qui défendit sa porte à Ulrich von Hutten fugitif et le dénonça aux autorités, afin de ne pas être compromis par la présence d’un ancien ami. Les humanistes étaient déjà des « surhommes » et, comme tels, en dehors de l’humanité.

Mais de trop grands progrès avaient été réalisés dans tous les sens, trop de remarquables découvertes s’étaient faites dans l’espace et dans le temps, l’industrie et le commerce accroissaient tellement l’étendue de leur domaine et la variété de leurs applications et, en même temps, le trésor des connaissances humaines augmentait en de telles proportions que la société, déplaçant son point d’appui, allait se trouver forcément obligée de prendre des formes nouvelles. Toutefois des changements de cette nature ne se font pas de manière à réaliser logiquement les conséquences des principes invoqués par les novateurs et révolutionnaires ; conformes à la résultante de toutes les forces en lutte, ils représentent la moyenne de l’état social avec ses innombrables contradictions, avec toutes les survivances du passé plus ou moins résistantes, s’entremêlant aux images rudimentaires des réalisations futures. Le mouvement intellectuel et moral de la Renaissance, obligé de prendre corps dans la société ambiante, dut s’accommoder à la moyenne des conceptions religieuses, morales et politiques, s’incarner ainsi en des institutions de beaucoup inférieures à sa tendance naturelle.

Certes, la Renaissance, prise dans le cercle étroit de son élite intellectuelle et artistique, avait été dans son essence très supérieure à la Réforme. Elle ouvrait l’esprit humain à la raison, elle cherchait la vérité pure ; tandis qu’en se démoralisant pour constituer la Réforme, en s’incorporant dans la masse du peuple, elle allait en prendre les préjugés et d’abord, le premier de tous, celui du rattachement des