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l’homme et la terre. — réforme et compagnie de jésus

« Il n’est pas nécessaire d’être prophète, disait-il, il suffit de la plus courte vue pour s’apercevoir que la papauté est sur la pente d’une ruine inévitable ». Laurent Valla, qui, du reste, fut protégé jusqu’à sa mort par l’opinion publique et sauvé de toute persécution, ne s’était-il pas aussi dressé contre le pape, non moins violent et farouche que le religieux allemand : « J’entreprends maintenant d’écrire contre les vivants, et non plus contre les morts, contre une autorité publique et non contre une autorité privée. Et contre quelle autorité ? Contre celle du pape, qui est ceint non seulement de l’épée laïque des rois mais aussi de l’épée spirituelle de l’épiscopat suprême. En sorte que l’on ne peut se protéger de lui, de son excommunication, de son exécration, de son anathème, derrière aucun bouclier de prince. Et je pourrais dire avec la Bible : « Où m’enfuir de devant ta face et du souffle de ta bouche[1] ? »

On peut dire que les conciles mêmes qui discutèrent à Bâle et à Constance les questions dogmatiques et celles de la morale religieuse, en se plaçant au-dessus du pape et même contre lui, étaient animés d’un véritable esprit protestant. Il ne manquait aux docteurs et aux prélats qu’un peu plus d’audace et de sincérité pour aller de l’avant et réformer l’Eglise, comme Luther tenta plus tard de le faire en s’adressant au pouvoir laïque. Même une furie bien plus grande que celle du protestantisme latent, plaidant pour la Réforme par l’entraînement de la foi religieuse, n’avait cessé pendant tout le moyen âge de s’attaquer directement à l’Eglise. Cette force était le bon sens irréligieux. De tout temps, et même à l’époque où les âmes s’abandonnaient le plus naïvement à la foi et où le fanatisme armait le plus de bras contre l’infidèle, une grande partie de la littérature nationale témoignait d’un fond de scepticisme railleur chez nombre de gens qui, tout en se gardant prudemment d’attaquer l’Eglise, avaient de bien autres soucis que ceux des dogmes et de la prière. Il est à remarquer que cette ironie populaire avait une portée de beaucoup supérieure à toutes les formes chrétiennes et qu’elle ne se serait pas accommodée du culte protestant mieux que de la religion catholique. Aussi doit on constater qu’en France, le pays le plus riche en fabliaux moqueurs dirigés contre les prêtres, le protestantisme n’eut de prise vraiment profonde et tenace que dans une très faible partie de la population. La masse de la bourgeoisie, à laquelle la religion nouvelle

  1. Cité par Philippe Monnier, Le Quattrocento, tome I, p. 285.