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l’homme et la terre. — réforme et compagnie de jésus

d’énergie, de persévérance et de ténacité. C’est que dans ce drame émouvant et grandiose, il ne s’agissait pas seulement de la forme des génuflexions et du libellé des prières, mais aussi de l’indépendance politique ou de la servitude. Il est certain que, dans le conflit, ce furent surtout les Espagnols, habitués héréditairement au meurtre, qui commirent le plus d’atrocités et versèrent le plus de sang : les précédents et les exhortations de l’Église le voulaient ainsi. Sous la terrible domination du duc d’Albe, près de dix-neuf mille habitants de la province des Pays-Bas furent livrés au bourreau, et combien plus nombreux ceux qui périrent égorgés sur les champs de bataille et dans les villes livrées à la fureur des soldats ! On dit que Philippe II et son lieutenant, faisant ensemble leur examen de conscience, convinrent que les victimes suppliciées juridiquement devaient rester au compte du roi, tandis que le duc d’Albe aurait à sa charge devant Dieu des hérétiques et des innocents tombés à la guerre ou dans les massacres. D’ailleurs, l’un et l’autre devaient se sentir en paix avec eux-mêmes et peut-être se juger coupables de clémence, puisqu’ils avaient reçu dans leur œuvre d’extermination l’approbation directe du pape. On peut juger du caractère qu’avaient pris les rapports entre belligérants par cette parole du vice-roi, relative aux assiégés d’Alkmaar : « Chaque gorge servira de gaine à un couteau ». D’autre part, les citoyens de Leyde, attaqués par la flotte espagnole, n’hésitaient pas un instant à se ruiner, à perdre leurs prairies et leurs bestiaux pour augmenter leur force de résistance ; « Faut-il couper les digues » ? demande le Taciturne. « Oui », répondent les assiégés d’une voix unanime.

Le résultat du long et sanglant conflit fut précisément celui que faisait prévoir l’équivalence des forces en lutte. La partie méridionale du territoire disputé, c’est-à-dire celle où les armées catholiques d’invasion se trouvaient le plus rapprochées des contrée des recrutement et d’approvisionnement, et où elles avaient sous les pieds le sol le plus ferme pour établir leur camp et tracer leurs voies de communication, celle moitié belge du grand champ de bataille resta au pouvoir de l’étranger et continua de force à professer la religion du vainqueur, qui était en même temps celle des aïeux. Après avoir hésité entre les deux confessions, ainsi que l’évolution naturelle du siècle le rendait inévitable, la Belgique, rivée par le fer comme sur un échafaud, fut bien obligée de répéter les vieilles litanies, mot pour mot, suivant les ordres de l’Inquisition, et, comme il arrive toujours en vertu de l’invincible amour-propre des hommes, ces