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évolution de l’église

toujours en lutte dans le sein de la religion catholique, celle de l’Évangile pur, dégagé de toute la survivance des anciens cultes, remporta, du moins officiellement, une victoire définitive. Le catholicisme s’épura au point de vue théologique, mais, déplaçant son centre de gravité, il s’éloigna de la vie ambiante, et le peuple ne trouva plus guère en lui, comme dans le dogme des protestants, que la consolation banale des promesses du Paradis, sans adoucissement matériel à ses misères présentes. Le catholique devint raisonneur et controversiste pour se mettre en mesure de discuter contre les savants, athées ou schismatiques ; il fonda de nouveaux ordres qui répondirent à cette évolution nouvelle, et éprouva, à cette époque, quelque honte à patronner les petits ordres, tels que les capucins, qui, pourtant, avaient contribué plus que tous les érudits et dialecticiens à la consolidation de l’Église catholique romaine. Restés gens du peuple, amis des pauvres et pauvres eux-mêmes, camarades réjouis et bouffons en dépit de leur vêture sombre, de leurs grosses et brutales macérations, ils étaient aimés et faisaient aimer l’Église. Ils riaient sans scrupule avec les joueurs et les buveurs, tapaient sur le ventre au compère et plaisantaient bruyamment avec la commère, intervenant dans toutes les affaires de famille et de voisinage, naissances, mariages et morts, brouilles et réconciliations. C’est à eux, comme au juge de paix et au directeur public des consciences, que l’on s’adressait dans toutes les petites difficultés de la vie. Qu’un philosophe hérétique ou qu’un orateur sonore vînt « saper les bases de la foi », certes, le capucin n’avait rien à répondre, mais la foule lui savait gré de son ignorance, aussi profonde que la sienne ; et, riant avec lui, n’était nullement ébranlée dans sa foi naïve. Sans étalage de science ni de mérite, le capucin à la barbe longue et aux pieds nus a peut-être plus fait pour la durée du catholicisme que les jésuites et autres ordres religieux aux allures majestueuses[1].

Tout naturellement l’Église, dans son organisation de caste propriétaire, chercha beaucoup moins à se défendre par des arguments qu’à répondre aux revendications par la toute-puissante raison de la hart, du fer et du feu. L’organisme savant de l’Inquisition fonctionnait avec tout le délire de la folie que donne l’hallucination divine : le tribunal sacré n’hésita point à faire emprisonner, torturer et brûler, peut-être plus

  1. Martin Philippson, Les Origines du Catholicisme moderne, pp. 21, 22.